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Le Val des Ténèbres III


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 Sujet du message: Le Val des Ténèbres III
MessagePublié: 25 Avr 2008, 00:25 
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Safran
Safran
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Localisation: Entre Vercors et Brocéliande
Tout est blanc !

Je ferme les yeux à demi, terrassé par les incandescents reflets de la petite pièce chaulée de blanc. Puis, tout doucement, je me force à endurer cette douleur lointaine, en ouvrant les yeux plus grands !

- Merci Seigneur, il s’éveille enfin … Marine, va chercher l’abbé, Jehan de Montfroide vient de se réveiller, vite, fais vite ….

Les murs irréguliers sont nus de toute tapisserie. Une fenêtre perce la cloison inondant la chambre d’une lumière vive et aveuglante.

Sur le mur d’en face, un crucifix noir et brulé, semble veiller sur l’hôte de ce lit simple mais confortable.

- Où suis je ma Sœur ?
- Ô mon Jehan, c’est moi, Annette, tu ne me reconnais donc pas ?
- Annette ?

Je fouille ma mémoire avec difficulté, comme si elle se perdait dans les limbes brumeux d’une épaisse fumée âcre. Je me souviens des cris de ces gens que je connaissais tous, mourant dans d’atroces souffrances, brûlés par les flammes violentes, cette fillette que j’ai gardé longtemps au dessus de moi, afin qu’elle puisse encore respirer, avant de sentir doucement son corps se raidir alors que ses dernières larmes salées tombaient sur mon visage asséché.
Ces pans de murs qui s’écroulaient au hasard, mangés par le feu qui rampait de partout, ces grêles fumantes de bois et de suifs, frappant douloureusement mon corps fourbu et la neige, froide qui me faisait du bien lorsqu’elle me touchait enfin.
Et l’odeur ! Jamais je n’oublierai cette horreur, graisse tiédie et obscène qui brûle en crépitant, déformant les visages, embrasant les cheveux et tordant les traits familiers de ceux que l’on connait, bulles qui éclatent et qui transforment ces faciès horrifiés en difformités grimaçantes et inhumaines.
Puis ce linceul de suie, qui couvre le trépas de ces gens, amis, enfants, dans le silence qui suit les cris et la souffrance. Je ferme les yeux, submergé un instant par le souvenir violent de ces quelques images, et je pleure doucement, et mes yeux me font mal, comme si la pierre rouge du bourreau venait sceller mes pupilles de son serment atroce et infini.

Je sens sa main froide qui serre la mienne. Je rouvre les yeux, elle me regarde attentive et tendre, comme une mère éplorée et inquiète.

- Où suis je donc céans ?
- En sécurité !
- An… ne…tte, dis moi ma sœur, où est donc ma mie, Ysane, as tu de ses nouvelles ?
- Oui …. Elle vit … enfin je le pense …. Réjouis toi plutôt d’être encore des nôtres ! Il sera bien temps de penser à elle.

La porte s’ouvre à la volée, un homme ventru entre, la soutane relevée afin de courir à travers les couloirs sombres et poussiéreux du monastère.

- Jehan, Jehan, comment vas tu ? Béni soit le Seigneur !

Sa tête rougeaude m’appelle un lointain souvenir que je ne formalise pas, je le connais sans doute, il me regarde avec beaucoup de tendresse.
Est ce là l’apanage de ces gardiens du temple ?
L’amour envers les autres, même s’ils ne les connaissent pas ?
Leur suis je d’une quelconque utilité ce qui induirait la vélocité avec laquelle il s’émerveillent de me voir resurgir des nimbes de ma longue absence, et me permettrait, alors, de comprendre leurs soudaines effusions ?

- Bienvenu à toi gentil seigneur, en l’absence du Baron tu es sur tes terres maintenant, il convient de reprendre des forces afin de reconquérir ce que l’on t’a pris !
- Merci …. Mon père, qui êtes vous ?
- Il ne me reconnait pas ?!
- Cela arrive parfois Père Quentin, il n’y a pas lieu encore de s’effrayer. Jehan est bien faible, il revient de loin, et je doute qu’il puisse s’imposer une quelconque revanche avant quelques lunes.
- Ah bon ! Quel dommage !

Serrant les poings, il sembla me caresser le front, puis s’en fut par l’huis encore ouvert, d’où sourdait une fraîcheur glacée.

...

Parfois les blés murs ont ces reflets exquis, comme une menthe fraîche, ou un plan de basilic aux larges feuilles bombées. Je me plonge dans ses yeux d’émeraude, afin d’y trouver cette paix qu’elle seule, sait me donner. Elle est belle, ses cheveux blonds courent sur ses épaules blanches, dévalant en cascades ses chairs soignées bien au delà de ses hanches. Son sourire esquissé et ses lèvres pâles, qui dévoilaient parfois ses dents blanches et serrées, et la douceur de sa peau, qu’elle frottait chaque jour avec quelques nectars exquis aux fragrances de roses et de chèvrefeuille.

Est elle morte brûlée ? Mon amour, que t’est il arrivé ? Et moi qui n’ai pas su te protéger !
- Elle vit Jehan, j’en suis sure ! Hugorne l’a emmenée avec ses deux sœurs, après avoir tués son frère, sa mère : la douce et pieuse Clotilde, et le Baron. ... Il a attendu longtemps que tu sortes du brûlot, deux nuits de veille acharnée, mais les flammes ont su te protéger. Même aujourd’hui, le masque qu’elle t’ont offertes te protègera de ses sinistres scrutations. Le moment viendra où tu pourras le faire répondre de ses crimes, mais là, il te faut avant tout trouver le repos nécessaire, pour permettre à tes chairs tuméfiées de se reconstruire, même si tu ne sembles pas avoir, par toi même, trop souffert physiquement de ces langues de feu. Le vieux Baptiste forge sans relâche une armure qui te sied parfaitement, ainsi que de nouvelles armes qu’il mélange avec de vieux artefacts que conservait l’Abbé Quentin en nos caves, afin qu’au terme de ta guérison, tu puisses venger les âmes errantes de notre belle cité d’Ardenceuil, et délivrer les filles du Baron. Mais pour le moment il te faut te reposer ! ...
- Je reviendrai te voir après les vêpres, courage mon beau Jehan !

J’arrive à relever mon bras afin de caresser mon visage. Il n’y a que bandes et bandelettes toutes imbibées de vinaigre et de cidre. Mon corps me brûle sournoisement, tout pommadé de graisses odorantes de sauge et de plantain, aux vertus calmantes et cicatrisantes.

Je tourne doucement la tête vers cette fenêtre qui déverse sans relâche ces halos blanchâtres à foison dans la pièce exigüe.

Une petite fille me regarde en souriant. Toute auréolée de lumière, elle ressemble à un ange, j’essaye de lui sourire, comprenant que mes lèvres devaient sortit des bandages. Ma peau meurtrie semblait ne plus vouloir bouger, et ce simple geste me demanda tant d’efforts, que je retombai sur mon lit sans forces, un franc sourire grimaçant imprégnant mes lèvres boursoufflées.

A la fenêtre il n’y avait plus personne.

[A SUIVRE]

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