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La tour d'Ombre éclat


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 Sujet du message: La tour d'Ombre éclat
MessagePublié: 24 Avr 2008, 11:26 
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Safran
Safran
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Inscription: 17 Sep 2007, 06:50
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Localisation: Entre Vercors et Brocéliande
Ce soir, encore, je cours vers Ma Tour. C'est vrai qu'il y a déjà longtemps que je me la suis appropriée. Mon âme s'est déjà perdue dans les méandres chromatiques de cette bâtisse de lumière, au mille vitraux, qui dansent avec les effluves chaleureuses de la chaude lumière du Ciel. Transformant une onde azurée, en reflets turquoises, tous galonnés de carme. Sublime essence du savoir de l'Équerre.

Je me souviens encore, lorsque, revenant d'Abymes, je rentrais pour
la première fois, presque par hasard, dans ce quartier aux fragrances de mystère. Une multitude de traboules sombres et crasseuses, quelques venelles aux incroyables ombres, bonheur des conjurateurs, et ces innombrables tours, jouant avec un soleil bas, un soleil d'hiver.

Délaissant les pavés, mon père me fit monter dans une barque au fond plat, et un homme étrange, les yeux gris, se mit à darder sa grande lance pour la plonger dans l'eau des canaux. Elle ressortait, immuable, dans une rythmique sourde et bruissante, tout à la fois.
Les ondes perturbées un instant, par la rame habile du passeur, mettaient longtemps à digérer les multiples cercles ponctuant notre avancée, auréolant de mille éclats, les ridules de sa surface.
L'homme ne disait rien. Mon père ne le regardait même pas. Il se tenait très droit, à l'avant de la frêle embarcation, surveillant un mur, une fenêtre … un sourire peut être. Les eaux s'empourpraient, comme surprises et gênées d'être ainsi froissées par la gaffe ; inexorable et subtile paradoxe. Nous frôlions les larges murs tantôt bardés de noir, comme fardés par un dur reflet, tantôt auréolés de grâce, transcendés par la chaude lumière, qui, sortant de l'ombre jouait avec les mille nuances lacustres ; comme engourdis. Les façades me semblaient hautes et ternes, presque vertigineuses.
Au croisement d'un pont, je regardai, surprise les passants pressés, qui courraient sur les pavés gelés. D'autres canaux, des quais serpentant le long de rives inexistantes, des murs, des murs, et encore des murs. Les portes donnaient parfois sur l'eau, sans même qu'il y ait un ponton, une terrasse, non, simplement une volée de marche, qui se perdaient dans les flots.
Parfois on découvrait dans des halos de brumes qui s’effilochaient soudain un pont, une passerelle, jetés par dessus l’onde sombre du grand quartier.
Symphonie crépitante, bercée par les vaguelettes qui clapotaient contre les pierres au grès des battements du rameur, comme le pouls intime de ces mille tours.
Ce quartier magique, semblait offrir au regard une longue froissée de toiles, aux innombrables nuances, déroulant ses esquisses par paliers successifs, comme dévalant les gradins d'un vieux théâtre chutant dans un miroir capricieux, qui mirait les façades, renvoyant des éclats d'images, comme une glace cassée.
Merveilleux sentiments confus, mélange d'oppression incertaine, de calme, de beautés figées défigurées un instant par les masques mouvants des reflets bruissants de la longue cane. Beautés infinies, multipliées à l'excès par les échos de l'onde. Puis, le calme revenant, paysage parallèle, aquarelles figées l'espace d'un instant, d'un souffle, d'un éclat de lumière, tamisées.

Une personne nous hèle d'une place, cernée par les tours. Quelles tours ! Deux sœurs, jumelles de cœur et de structures, magnifique dessin de maître !

Compas, équerre, jamais, pour moi, ces instruments anodins n'eurent ils autant de résonance. Parfois j'y songe encore, lorsque je crée, dans mon atelier de Lorgol, les moulures, expertes d'une ogive ou d'une clé de voûte.
Harmonie de la cyse, chant patient, mille fois répété, du burin sur la pierre, qui invite à la caresse, retient la main par le galbe épuré et doux qui ouvre la porte de nos imaginaires.
Les ailes prennent lentement forme, je finirai à temps, et remettrai mes gargouilles à l'Intendant des bâtisseurs pour qu'il les fixe sur une rambarde, un mur plus vieux que les autres, un chanfrein mystérieux, ou sur le haut d'une toiture.

C'est vrai, je m'en souviens maintenant, mon cœur a chaviré à la vue des Siamoises, et mon destin s'est scellé à celui de la pierre, en découvrant au delà de l'entrée, La tour, « Ma tour » … comme j'aime tant à le dire.

Nous accostâmes. Mon Père régla sa course à l'étrange vieil homme, qui, sans mots dire, repartit à la recherche d'autres clients.
Le Censeur est là, droit comme un <<i>>, pareil à son orgueil. Il ne m'adresse même pas la parole, m'a t il seulement aperçu ? Il sert la main de mon Père, et nous précède sur cette place magnifique. Les pavés sont lumineux, d'un granit presque rose, qui semble courir vers les deux grandes arches que forment les entrées des Siamoises.
Au centre de la place, une fontaine draine un mince filet d'eau, qui gèle par endroit. Les contours sont indécis, malhabiles, boursouflés par les cristaux de givre, qui terrassent le trait précis de l'architecte, comme si la nature elle même ne pouvait rivaliser avec l’harmonie parfaite de ces architectures.
Des hommes de loi bavardent, fort, devant les entrées jumelées.
Mon père sue, c'est étrange par ce froid lapidaire.
Je n'y prête pas plus attention. Je suis les hommes, je n'ai que cela
à faire. A mon âge, on n'a pas droit à la parole, et si ma mère n'était pas morte, je crois que je ne serais jamais venue dans ce quartier fascinant des Mille Tours.
Je pense à elle. J'ai froid. J'ai peur. Quelques larmes coulent, honteuses, sur mes joues, sans que je ne sache jamais qui, du froid ou de la peine, en est la cause.

Poussant la lourde porte, le Mage entra, nous précédant vélocement.

Mon Père me prit la main, ce fut la dernière fois qu'il le fit.

Il m'intima l'ordre de m'asseoir là, sur ces bancs, et de l'attendre sans bouger. Sa voix résonnait bizarrement dans ce grand vestibule.
Tout était blanc, dans un blanc froid, dur, triste.
De grandes dalles, toutes identiques, posées avec une rigueur terrifiante, pas le plus infime goût pour la création pensai je, me levant, et me dirigeant à l'opposé des magistraux escaliers qui avaient avalés le Mage et mon Père … aussi.

Une Porte. Je l'ouvre. ….

Aujourd'hui encore je reste émerveillée de la même manière. Elle est là, pareille, fidèle à jadis, fidèle à toujours, immuable, splendide, universelle.

Je lève mon petit visage d'enfant : le patio octogonale les longs murs roses, les ailes, les vitraux, les ailes encore et ces toitures keshites. Les visages terrifiants des deux gargouilles, qui montent la garde, immobiles. Leurs larges ailes déployées.
Ces ciselures aériennes, unissant par delà le corps de la Tour deux échauguettes fines et sublimées par le talent de l'artiste. Deux minuscules tourelles, avec leurs créneaux arrondis, entre gargouilles et guérîtes, rondes de surcroît, scindent les passerelles de pierre jetées sur le vide.

Au centre de la tour, a mi-hauteur du premier tronçon, une large sculpture, taillée dans la masse, rose, supporte une volée de sept fenêtres dans un appendice en alcôve.
Chacune d'entre elle est formée de vitraux sublimés par les derniers rayons de soleil.

Les ombres s'allongent.

Le soubassement du balcon représente une créature bicéphale supportant la tourelle fenêtrée de ses deux bras vigoureux.
Ombre, lumière les masques de la statue gigantesque se livrent un combat perpétuel à l'aplomb de ces mille nuances de verres, sans jamais se voir. Un dais de pierre orne l'ensemble du balcon, emprisonnant les fenêtres multicolores.

Je lève encore les yeux.

Le corps de la Tour se fluidifie doucement, ce cintrant presque à la hauteur d'une fine chaîne de pierre, qui entoure l'édifice d'une ciselure en frise. A la moitié de sa hauteur, elle abrite sur ses flancs deux autres guérîtes, qui épousent les murs dans un balais ingénieux et fluide.

Et là le mystère s'intensifie.

Au dessus de la chaîne, véritable collerette de marbre, pareille à un bijou, les nuances s'entrecroisent, se choquent, se rencontrent, s'harmonisent. De rose ingénu, la pierre se modifie, les éclats se déflorent, virevoltent, se soudent et forment une couleur sublimée, loin de l'artifice. Indéfinissable, blanc ourlé de noir, rouge cerné de bleu, les couleurs s'emmêlent, hurlent, se défigurent, se heurtent, se tyrannisent.

Mais c'est de cette juxtaposition savante, que chacune d'elle existe et vit … soulignée par l'essence même de sa voisine. Les gueules épousent les sables, le pourpre se pare de l'azur et du sinople, l'argent se fond avec l'or, dans un vermeil subtile. Les ombres même des pierres se diluent de concert, métamorphose, éclosion de couleurs, éruption de nuances, magnifique merveille courant vers le chef de la bâtisse en un dernier sursaut aérien.

La Tour n'est plus d'ombre, elle est de lumière, mais la lumière se fond dans une ombre trop proche.

Elle existe, elle est là, indéfinissable, surprenante, arrogante, sublimée par les astres, poussant la coquetterie jusqu'à se cacher à la vue des vivants, s'enfermant dans un étaux de Tours comme elle, n'offrant aux passants, que le dôme d'un toit flamboyant, couronnant une magie chaque jour recommencée, sans que jamais deux fois même nuance ne vienne souligner même pierre.

Enfin par delà la chaîne, le fin ourlet de cisèle, trois autres vitraux éclairent encore un étage. Accolés au plus grand, bordant l'immense vitrail du centre dont on devine soudain la représentation de trois femmes sublimées, en tenue d'apparat. Leurs longues chevelures descendent jusqu'à terre, ainsi semblent elles créer une autre puissance, unissant leur cheveux qui se tissent et s'emmêlent en une vasque symbolique, d'où émerge un visage.
Les deux autres vitraux, plus petits, donnent essence et vie aux fées noires, aux lutins, farfadets, satyres et autres saisonnins, représenté chacun, dans son propre univers.

Enfin j'aperçois le sommet de La Tour.

Le corps s'évase brusquement, pour se terminer sur un dernier étage, plus large. Neuf vitraux ornent, magistraux, ce lumineux niveau. Une nouvelle fois, deux arches aériennes, accrochent deux autres guérîtes, chacune percée d'une meurtrière. La Tour se termine par un
dais de style keshite, illuminé lui aussi de deux derniers fenestrons, surmontés chacun d'une marquise légère et fluide. Seule cette partie émerge par delà les murs de ce fabuleux quartier.

Curieusement, la toiture semble avoir été rajoutée, n'encapuchonnant pas complètement le sommet de la Tour.

Que c'est beau !

Je sursaute, le Censeur est là, derrière moi, je ne l'ai pas entendu entrer. Il me tape rudement sur l'épaule :
- Allez petite, va t'en, ton Père est mort, jugé par ses pairs.
Puisses tu ne jamais souffrir du courroux des Censeurs !
Il n'a rien rajouté, m'a simplement jeté une bourse et les affaires
de mon Père. Puis il est reparti, poursuivant sa traque immuable et ordonnée.
Il n'a pas remarqué mes danseurs, pelotonnés entre mes nattes, ou plutôt ceux de mon Père, qui, se sachant démasqué, me les avait confiés.

Seule soudain !

Je crois que je me suis lourdement assise sur le sol, tout contre la margelle de la fontaine du patio. Mes yeux en pleurs se sont accrochés longtemps aux mille teintes de la Tour, jusqu'à ce que la neige se mette à tomber.
Alors l'ombre reprit ses droits, loin de la chaleur du soleil. Et pourtant, la neige lourde et collante, irisait encore une douce lueur, comme le dernier sursaut d'une étincelle agonisante, vaincue par le noir de la nuit.

C'est à ce moment là qu'il me saisit !

Brutal et sans expérience le vieux Mage me souleva de terre, comme fétu de paille. Il m'aida à ramasser mon petit baluchon, les quelques affaires de mon Père, jetées, éparses de chaque côté de moi, et poussa la porte de « Ma Tour », en me disant doucement d'une voix paternelle

- Bienvenue en ma demeure, Myriell, bienvenue au sein de la Tour
d'Ombre – Éclat !

Mille bises
Gaëlle

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Le rêve est la raison d'un seul
La réalité est la folie de tous


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