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L'Equerrine V


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 Sujet du message: L'Equerrine V
MessagePublié: 24 Avr 2008, 11:15 
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Safran
Safran
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Inscription: 17 Sep 2007, 06:50
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Localisation: Entre Vercors et Brocéliande
Nous traversons la cour. J’ai du mal à suivre ma guide tant elle semble impatiente de m’offrir cette visite. Elle se retourne l’air amusé, m’enjoignant à presser le pas. Je contemple chaque détail de ces remparts sombres et sublimement ciselés qui nous encerclent. Elle pousse une lourde porte de bois ganté de fer, qui glisse dans ses gonds avec facilité. Nous entrons dans la seconde pyramide. L’édifice est entièrement creux.
Subjugué je lève les yeux jusqu’à la cime de la construction. Il n’y a pas un millimètre carré qui ne porte la trace de l’habile coup de marteau des maîtres de la Cyse. De longues lianes subtiles s’enroulent les unes dans les autres dans de virevoltantes volutes, elles s’attirent, se cherchent, se nouent, se mêlent, se divisent et s’unissent à nouveau quelques mètres plus haut. Elles sont le territoire de milliers d’êtres féeriques qui y vivent, s’y fondent et en ressortent tissant la longue histoire de l’Harmonde. Dames, Muses, Éternels s’y rencontrent usant de leurs pouvoirs pour créer d’autres êtres de lumière. On y voit la paix, le plaisir, les guerres, le sang, les politiques contraires, les rivalités des mille mondes, les faces changeantes des Masques, le puit de Diurne et la naissance de l’Arbre.

Au deux tiers de la hauteur, dominant l’ensemble, une large voûte abrite un immense calice circulaire en pierre. D’innombrables ciselures en font une sorte de dentelle. En chacune d’elle est serti un mince morceau de verre qui, éclairé de l’intérieur, s’anime en une multitude de nuances.

Toutes les couleurs des mondes réunies en une seule pièce. Elles tombent maladroitement sur les aspérités des sculpturales parois, rebondissent et chutent à nouveau, gommant les ombres jusque dans les coins les plus reculés, les plus inaccessibles finissant leur course sur tel ou tel être, qui transcendé par la Flamme nouvelle, se découvre autrement, faces changeantes et multiples, bicéphales, monde hermétique d’ombres et de lumières, cantique absolu des contraires, qui n’existent que par opposition à leurs autres destins.
Vie et mort, jeunesse et vieillesse, hommes et femmes, nuits et jours ...

Au delà de cette frange luminescente, un large halo de lumière brute, absolue, infinie naît de la coupe, et se déverse par les côtés, inondant l’ensemble de cette cathédrale de granit et de marbre en de multiples corolles de nuances et de teintes exquises, qui vagabondent, légères et soudaines, s’animent, se muent en des guirlandes multicolores, pour se fondre dans un ensemble prismatique à la beauté pure et originelle, qui se répand sur le sol dallé de l’édifice.

Je sens des larmes couler sur mes joues fatiguées, creusées par le temps et par mes années d’errance passées à rechercher de la perfection de mon Art.
On a tous quelque part une référence qui nous est toute personnelle. On y met nos joies, nos peines, nos folies, les mille étapes de notre vie et leurs multiples points d’ancrage. On l’idolâtre, la vénère, et on la confronte machinalement à tout ce que l’on rencontre, afin d’en déterminer le potentiel de beauté. Elle est source de nos sentiments les plus personnels, ceux que l’on ne partage qu’avec notre propre ego, dans des discussions intarissables et intimes. C’est ainsi que l’on se crée notre étalon absolu, tissant par là même le canevas de nos valeurs, l’échelle de nos sentiments, nos visions de la beauté, de la folie, de la noirceur, de la vie, de la peur, de la joie .... source de nos jugements pleine et entière, tout à la fois âme et conscience. J’imaginais toujours une image que j’avais au fond du coeur, qui représentait le soleil glissant à travers l’épaisse frondaison de ma chênaie, jouant avec les teintes du printemps, lorsque les feuilles se parent de leurs plus beaux atours, pareilles aux plus beaux arc en ciels. Inébranlable tabernacle de notre arche sacrée, il nous accompagne au travers de nos sens et de nos perceptions. Il nous semble à jamais inaltérable, inébranlable, absolu.
Pourtant, en cet instant, moi, Arminin, Lutin vagabond, je viens de trouver MA vérité, l’ultime consécration d’un Art auquel j’ai voué ma vie.

Désemparé, je viens de finir ma quête .... et m’en créer une nouvelle !

Fébrile, je contemple, ému, cette allégorie subliminale, cette splendeur unique, subjuguant et chamboulant la propre source de mes valeurs, terrassant mes idées les plus ancrées au fond de mon âme apeurée triste et transie. Déstabilisé et impuissant je ne peux que contempler la splendeur éphémère de cette monumentale sculpture de l’Harmonde, baignée par les flammes du Centresprit débarrassé de l’éternelle cape du Masque.

Ne pleure pas Arminin, [me murmure soudain Arciferia, en me prenant la main] ce que tu vois maintenant n’est autre que l’idéalisation de l’ébauche de la quintessence que tu t’es faite à travers les voiles éthérés de ton âme. Aujourd’hui, comme tu as su offrir une nouvelle marche à Maître Scabiosus, te voilà face à la tienne. C’est ton nouveau point d’ancrage, ta nouvelle force, la naissance de ta nouvelle quête, plus absolue, plus inspirée, plus folle peut être ! Le dernier maillon de ton errance, celui pour la réalisation duquel tu es prêt à donner ta vie.

Quel est donc mon destin ?

Tu es le seul à le savoir. La vision que tu as de cette pièce t’est propre, nul autre que toi n’y verra la même chose. C’est de la confrontation de cet idéal, avec ton âme que naît ta vocation. Ce tableau monde baignant dans le bonheur retrouvé du Centresprit inondant l’Harmonde te parle ! Te voilà entrain de forger ton destin, te voilà à la croisée des routes, à toi de choisir la tienne. L’une d’entre elles te guidera inexorablement vers la fin de ta vie, vers la fin de ta quête, aussi prends tout le temps qu’il te faut pour visiter ton âme et lui faire part de ton choix. Prends garde aux chimères qui ne sont là que pour te distraire. Dépasse tes idées reçues, débarrasse toi du carcan de tes doutes, regarde ton avenir avec sérénité, écarte toi de tes valeurs, trop absolues, trop hermétiques pour te permettre de considérer l’autre face de chaque chose, de chaque être. Il est temps que tu visites la face cachée des Mondes, l’au delà des apparences, évolue dans ta lente initiation, au delà de l’un de ces chemins il y a la connaissance, la renaissance, l’Inspiration. Guide toi dans les décombres fracassés de tes croyances, dépasse tes dogmes parcellaires, embrasse la prescience, l’ultime pouvoir du discernement. Apprends à te connaître, regarde tes limites, juge toi en toute conscience, et choisis ta destinée......

Je crois comprendre ton message, Arciferia, es tu en train de me dire qu’au delà des autres, il y a nous même ? Ainsi, c’est après avoir triomphé de nos réticences, de notre aveuglement, de notre étroitesse d’esprit, de notre carcan de valeurs, de nos repères, de nos modèles, de nos étalons, forgés lentement par notre esprit et nos expériences au fil de toute notre vie, que l’on est digne d’appréhender l’Harmonde dans son ensemble, de tout remettre en cause, de s’ouvrir aux autres chemins de la connaissance suprême ? Enfin prêts à découvrir les autres faces cachées des êtres et des choses, de triompher des artifices, de l’intelligente diligence du Masque ....

Comme tu es lucide, cher Arminin, te voilà parvenu au seuil de ta nouvelle errance, tu viens de prendre en compte l’autre aspect des choses, l’hermétique pouvoir du faux semblant. Nul n’est réellement celui qu’il semble être, il n’est que parure rutilante pour l’aveugle terne, humble serviteur du Masque pour le subtil initié, chacun d’entre nous erre à la recherche de sa foi intrinsèque et inaliénable, sa lumière, sa flamme vacillante. Sur le grand échiquier des forces, certains pions avancent inexorablement, tendant vers une perfection subtile qui leur ouvre les portes de l’ultime école, celle de l’étude exhaustive de ce qui nous entoure, en toute probité, sans référents parasites, au delà de nos filtres, si affûtés soient ils. De cet état de grâce, quelques uns arrivent à en tirer la quintessence absolue des savoirs, ils se dépassent, s’oublient, se détachent, sereins et sages, attentifs aux autres, oubliant les plus infimes traces de jugements personnels, prêts à percevoir chaque chose dans son intrinsèque nudité, loin de tout artifice, dans son état de nature primal.

Mais, Arciferia, le Monde, peut il être beau, dénué d’artifices ?

Je ne sais pas te répondre Arminin. Mon chemin ne m’a pas mené aussi loin que le tien. Je n’ai plus de réponses, trop occupée, trop aveuglée à trouver les miennes. Je ne me suis pas encore détachée de mes valeurs, ne voyant que pas mon âme, sans aucun filtre, comme tu es sur le point de le faire. Ma route est encore longue, mais je me réjouis pour toi, tu es si prêt de la révélation.

C’est, c’est merveilleux .....

Suis moi, maintenant, Arminin, libère toi de ton carcan de songes et de jugements ...

Elle me prend par la main, me tire pour me soustraire à la vue synthétique et sublimée de l’histoire de l’Harmonde au travers de la Cyse. Nous quittons la pièce, par une petite porte, que je n’avais pas vu en entrant, trop aveuglé par la beauté de l’édifice. Mon esprit cartésien est ébranlé par ma découverte, il ne mesure plus totalement la réalité de l’endroit, mais il me semble néanmoins que l’on a marché longtemps dans un dédale de couloirs magnifiquement décorés, dont les dalles étaient en partie recouvertes par un épais tapis rouge, long et sinueux, posé au centre du dit couloir et masquant près d’un mètre de pierre dans sa largeur, courant le long des venelles, épousant parfaitement les courbes de l’architecture. Une voûte haut perchée, en lancette me rappelait les coursives du ribat de Noircité, qui dégringolaient vers le souk au bas du village fortifié, à quelques lieues des premiers escarpements rocheux des Monts Drakoniens. De part et d’autre du couloir, espacées d’une vingtaine de mètres les unes des autres, de superbes colonnes se détachent entièrement des parois du couloir, formant un relief ordonnancé et sculptural. Elles se rejoignent, dominant la large allée, en une clé sculptée aux motifs abstraits mélange harmonieux de postes, de rocailles et de rinceaux.

Parfois, entre deux colonnes, une alcôve s’ouvre à droite ou à gauche du couloir, donnant sur des ateliers d’où retentissent nombre coups de marteaux, de burins, et de pics affûtés, qui griffent la pierre afin d’en extraire ces merveilleux messages artistiques, offerts à nos sens, guidés par les mains expertes des apprentis, sous l’oeil vigilant des Maîtres de la Cyse, qui lèvent un oeil étonné à notre approche, pour se replonger aussitôt dans la scrutation des ébauches de leurs élèves.

D’autres ateliers révèlent des aspects différents de l’enseignement de cette école. On y apprend à faire des plans, à calculer des résistances, des forces, à assembler des matériaux afin d’ériger de splendides constructions, de somptueuses structures comme les mille tours de Lorgol. Chaque élève se spécialise dans tel ou tel aspect de la Cyse, puis il tente d’en comprendre la philosophie, en accomplissant son compagnonnage au sein de cette structure toute entière dévouée à cet Art majeur.

Il y a beaucoup de nains parmi les disciples de cet Art, je me souviens avoir aperçu un Satyre, et quelques Farfadets, mais aucun d’eux n’a levé les yeux de son labeur. Certain préparent une ébauche de leur futur coup de marteau, même s’il ne s’agit que d’une acanthe à la taille minuscule. Pour cela ces coroplastes préparent une esquisse en argile, et affermissent la rigueur des entailles, travaillent les volutes de leurs futures oeuvres, ou cherchent à donner le plus bel effet à telles ou telles de leurs créations. Il m’apparaît que ceux là sont des disciples de second degré, et qu’ils se préparent à ciseler à leur tour les murs de l’Equerrine. Ils sont en petits groupes, et le Maître les surveille d’avantage, leur montre un détail, ou réalise un mouvement plus subtil avec l’outil du compagnon, afin de renforcer une cimaise, un listel, un tore ou une scotie d’une manière plus précise, plus pure, plus absolue. Lorsqu’il a fini, il malaxe l’argile, noyant son éphémère création, afin que le compagnon reproduise à son tour le trait précis, qui vient de lui être enseigné. Le plus surprenant de ces ateliers, est que tout se déroule sans un mot, pas une parole, que des signes, des regards, des gestes, comme s’il ne fallait pas briser le fil ténu de la création, de l’inspiration. Seuls les coups de marteau rythment les silences de la Stance mélodieuse de ces réalisations artistiques, murmures d’Art et d’Harmonie.

Mille bises
Gaëlle

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Le rêve est la raison d'un seul
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