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Balafres et mise à terre VI


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 Sujet du message: Balafres et mise à terre VI
MessagePublié: 24 Avr 2008, 11:02 
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Safran
Safran
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Inscription: 17 Sep 2007, 06:50
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Localisation: Entre Vercors et Brocéliande
Les langues de brume s'effilochaient doucement au gré du vent infatigable qui balayait la lourde plaine. Comme de longues tresses de coton, que vomissaient de lourdes corbeilles tressées, pareilles à celles que je voyais dans la rue des marchands de Shushan, elles se déformaient, se scindaient, se retrouvaient, se ressoudaient, mèches échevelées et rebelles qui n'obéissaient à personne, ivres de liberté. Parfois elles semblaient danser, agitées par les vocalises endiablées du blizzard qui heurtait la paroi et se déformait, renvoyant son souffle fou pour animer ces derniers miasmes ouatés.

Tout semblait mouvant et irréel. De larges franges dégingandées se dressaient parfois dans un soupir de mort, comme le dernier sursaut d'une vie qui s'enfuit et qui cherche à saisir le premier venu pour l'emmener avec elles vers les rives damnées du passage des deux mondes. Mains squelettiques et décharnées, qui essayent d'entraîner dans leur voie mourante, une dernière fois, ces restes de vies, qui hantent encore le sol gelé de la grande toile.

Loin par delà les Mondes, le grand écheveau se déroule inexorablement, tissé par les mains expertes des Anciens, qui oeuvrent de concert à l'immuable destin de l'Harmonde.

Étrange perfidie, quand dans un sursaut, au milieu de ces voiles abandonnés, lorsque la déchirure semblait parfaite, je devinais, anéantie, l'exquise finesse des rambardes de la longue passerelle. Le fer avait été travaillé, formé, forgé, arrondis, emboutis, et s'envolait en longues volutes métalliques, symbolisant des arbres, des fleurs des oiseaux, et offrait à celui qui désirait s'aventurer sur ce pont incertain, une possible chaleur et un peu de réconfort.

Quelques marches m'invitaient à descendre du promontoire rocheux sur lequel je me trouvais, afin de retrouver un semblant de quiétude sur cette architecture exquise, sortie de nulle part, et toute gantée de fer.

Je sentais quelque chose de bizarre, une incongruité abstraite omniprésente, absolue, totalement irrationnelle.

Reprenant doucement mes esprits, je m'aventurais avec précaution sur la première marche. Elle était blanche, inachevée, semblant flotter au dessus d'un vide inter planaire. Instinctivement je me crispais, consciente de l'absolu infini de ces cosmes étranges qui arpentaient en tous sens les mille univers, obéissant à une logique universelle qui multipliait les plans.

Où étais je vraiment à cet instant ?

De par mes nombreuses aventures aux côtés de mon père, j'avais une certaine notion de ce sens caché des choses.
Nombre de fois, au cours des repas, j'avais entendu discourir sur les fondements de notre Harmonde, des origines de son harmonie exaltante, à sa lente agonie due en partie à la folie des êtres, et à leur possessivité exacerbée.
N'était ce pas là le point de départ de nombreuses querelles ?
En tout lieu, en toute occasion, le long mécanisme de la jalousie précède l'arrivée d'un phénomène d'autodestruction sans mesures, qui souligne de sang les plus funestes desseins.

Ambivalence des forces, puissance des contraires, qui s'attirent inexorablement, et leurs intimes liaisons soudaines, tissent sans faillir, le destin de nos jours. Dès lors que l'imaginaire défaille, se profile le spectre de la magie et des mancies salvatrices. Celles par qui l'insoluble devient aisé, celles qui expliquent l'incompréhensible, attisent l'inculture, et fourvoient les candeurs inquiètes. Celles qui offrent la sécurité de l'ignorance et de la croyance absolue en des dogmes stigmatisés que nous offrent en pâture les mains gantées du Masque et de ses vrais semblants. Aveuglées de clairvoyance, les masses défilent apaisées, loin de leurs idées de querelles et de rebellions.

Alors les tours d'ivoire avancent lentement sur le grand échiquier, doucement les toiles se tissent, la nasse se resserre, le piège se referme, sur les masses endoctrinées, sur les pions de l'Harmonde.
Peu à peu le noir avance, précédant ses légions d'ombres et de mort.
La main malhabile et âgée tremble, le geste lourd agonise, et la chandelle vacille.

Perplexes, les Anciens se concertent, ils murmurent mais n'ont pas le droit d'instruire cette partie. Le Conseil tout entier est rivé à la décision d'un des leur, mais déjà la main gantée de noir s'avance sur le pion, les foules se taisent, hypnotisées par leurs futiles croyances incertaines.

Le pion vole sur l'échiquier, il s'arrête un instant, et se renverse à son tour. Il dégringole doucement de la table d'ébène, et heurte le sol avec un bruit mat, comme une brindille qui se brise, un os qui se casse, un espoir qui se meurt.

Les blancs sont à l'agonie, sous sa capuche noire, « Il » cache un léger sourire.

Les destins se nouent encore une fois.

Le vieil homme triste me regarde, ses mains tremblent toujours, mais il a confiance. Quelque chose en lui me donne cette assurance qui me faisait tant défaut jusqu'alors. Il me regarde avec ses yeux doux, d'un bleu pâle, entourés de broussailles blanches.

Je descendis la première marche, comme sur une nacelle immaculée nageant dans une masse cotonneuse et ouatée. Elle était solide malgré son apparente fragilité. J'avais l'impression que mon âme était sondée, alors que je m'engageais sur la seconde marche.

Il s'empare de sa tour, elle est merveilleusement sculptée dans un ivoire aux veines anciennes et nombreuses. Il l'avance fébrilement. Sa main est osseuse, altière, auguste. Il tremble moins cette fois ci. Dans la pièce tous se taisent, abasourdis devant cette audacieuse tentative. Et la pose d'un geste sec, regardant son adversaire avec un sursaut de lucidité et peut être aussi de fierté.

Je m'engageais sur la troisième marche.

Les nuages se disloquent, leurs mille bras malingres et blafards résistent dans une dernière tentative, essayant de s'agripper une dernière fois à la rambarde. Puis ils se déchirent en lambeaux décharnés tournoyant, happés par une bouche avide qui semble les aspirer au fur et à mesure.

Je restais bouche bée. Au delà de la dernière marche, il y avait un pont suspendu qui semblait enjamber l'inconnu, le néant, l'absolu. Il donnait vers un édifice somptueux, tout en élancements verticaux.

Une multitude de volutes métalliques servaient d'assises à de grandes baies vitrées, dont certaines étaient en vitraux somptueux, représentant les scènes de l'Harmonde. L'ensemble de ces arches multiples et élancées, semblait se rejoindre au dessus de la structure en une farandole de dômes étincelants. Certains d'entre eux étaient fabriqués en verre le plus fin, comme de nombreux cristaux qui scintillaient au soleil radieux, d'autres étaient en métal rouge étincelant, comme du cuivre en fusion, d'autres enfin n'étaient que pures structures exaltées, chef d'oeuvres inachevés d'une trop parfaite maîtrise de la Cyse ancienne, flammes à jamais figées dans leurs carcans d'acier.

–« Echec à la Dame »

La voix caverneuse et profonde résonnait dans les galeries des arcanes du pouvoir.

Un rictus mauvais semblait émaner de l'adversaire en noir, alors qu'il penchait sa tête vers l'échiquier. Le vieil homme ne tremblait plus. Je devinais un sourire de connivence à mon égard, alors que son regard m'accompagnait et m'enveloppait de sa bienveillance. L'assemblée ne se calmait pas, tous chuchotaient à qui mieux mieux dans cette vaste salle ronde meublée avec un luxe extravagant.

Quelque part au loin l'orage fait rage, les mondes se télescopent durement, les plans vacillent rectifiant les révolutions des cosmes. Jamais sans doute les gardiens du sanctuaire n'avaient ressentis si près la déferlante des Destins. Le Centresprit s'éveille peut être doucement de sa longue léthargie.

Médrahermine a aussi entendu ce chaos étrange dans les disques des Mondes. Il y a si longtemps qu'elle n'est pas sortie de sa prison noire. La tante d'Azuréa sait que le grand tout ne tourne plus comme il le devrait depuis qu'elle a ressuscité le mythe, elle connaît à nouveau le grand secret des Méduses, et il va falloir l'offrir à son peuple. Mais elle veut encore s'en servir toute seule. Elle s'invente toujours de nouvelles raisons pour retarder son départ vers les Terres Veuves, et quitter ses Tours infernales. Mais elle n'est pas encore prête à partager son secret.....

Avançant avec précaution, je tentais d'arriver à la passerelle. Jetée à travers ciel, elle menait vers une petite place juste en dessous du palais aérien, d'où semblaient partir de multiples ponceaux. Le vent se prenait dans les haubans et semblait jouer une mélodie entraînante. Alors que je sautais sur la travée centrale, je m'aperçus que le pont ne reposait sur rien. Il n'était absolument pas lié avec le sol d'une quelconque façon que cela soit. Il enjambait un néant d'abîmes absolus, et semblait s'ancrer dans un nuage étiré qui supportait déjà le palais. L'ossature du pont était extraordinaire, chaque hauban semblait tressé dans du cristal, le tablier était sculpté dans un métal sombre marbré de blanc, et représentait une multitude de petits êtres qui se dirigeaient tous vers les portes du palais. La lumière jouait avec les câbles de serrage, et semblait illuminer la structure toute entière de mille fragments aux mille nuances de couleurs. Son architecture me rappelait une bâtisse dans le quartier des Mille Tours à Lorgol. Mon coeur battait à tout rompre, et, attrapant la rampe, je m'engageait sur la travée, en me dirigeant vers le palais.


[A SUIVRE]

Mille bises

Gaëlle

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Le rêve est la raison d'un seul
La réalité est la folie de tous


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