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Balafres et mise à terre V


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 Sujet du message: Balafres et mise à terre V
MessagePublié: 24 Avr 2008, 11:01 
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Safran
Safran
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Localisation: Entre Vercors et Brocéliande
Le mastodonte s'enfonçait dans la neige qui craquait de façon sinistre, il avançait péniblement, soufflant comme un soufflet de forge. La nacelle ondulait sous les contractions de son abdomen, lorsqu'à bout de souffle, il cherchait à remplir ses poumons. Sa démarche était plus malhabile, et sa peau luisait de glace éparpillée et irisée. L'univers était blanc, comme un écrin sublime, comme un linceul troublant. En me retournant, je constatai que les traces profondes de notre équipage étaient recouvertes, sitôt que nous soyons passés, par une neige fade et épaisse. Les monts se succédaient de toutes parts, inexorables, symboliques, terrifiant. Je sentais le désespoir m'envahir, ainsi qu'une peur irraisonnée, qu'adviendrait il de moi si Malakine, à bout de souffle, devait s'arrêter dans cet univers ingrat ? Je ne pourrais pas marcher dans la neige tant celle ci était poudreuse et profonde. Comment lui trouver de l'aide ?

–« Ne te tourmentes pas ainsi Orphèle, ce passage est ardu, mais je parviendrai sans doute à quitter ces terres d'hiver. Ne crains rien, nous approchons du voile. »

–« Que veux tu dire Malakine, de quel voile parles tu ? »

–« Excuse moi Orphèle, je ne peux pas marcher et parler, en usant le peu d'air qu'il me reste, ne m'en veux pas. »

Je me sentis terriblement gênée, je l'encourageais à vive voix, mais le vent s'engouffrait dans ma bouche, la glaçant presque instantanément. Le froid intense semblait atteindre son paroxysme. Soudain, j'aperçus un peu plus loin de grandes défenses recourbées, qui dépassaient de la neige. Puis ça et là divers ossements anciens, recouverts de glace, tous aux proportions gigantesques. Le vent redoublait. Mes sourcils étaient recouverts de glace, et mes lèvres craquaient sous l'effet de la puissance de ce froid mordant, accentué par le souffle ininterrompu du vent. Le gel formait des croûtes, qui cassaient lorsque 'Malakine avançait en plissant sa peau épaisse. La lune restait là, imperturbable et blafarde.

Je crois que je me suis assoupie, vaincue par la froidure.

A mon réveil, Malakine s'était arrêté. Son souffle irrégulier sifflait bruyamment. Nous étions dans un grand champ enneigé, duquel émergeaient quantité d'ossements de toutes sortes. Je reconnu les grands crânes des pachydermes, tous encore ornés de leurs immenses défenses recourbées, qui semblaient toujours menaçantes, alors même qu'elles gisaient, inertes, sur le sol gelé. Trois arbrisseaux défiaient la toute puissance du froid, ils étaient plantés de part et d'autre d'un vieil autel recouvert de glace et de neige, dont un atlante dénudé et merveilleusement sculpté se dégageait de sa gangue de givre. Il était taillé dans un ivoire très pur, presque blanc.

Malakine s'accroupit lourdement, s'enfonçant d'un bon mètre dans la neige, et faisant craquer nombre d'os enfouis sous sa masse.

J'attrapais mes sacs, et descendis l'échelle de corde. J'atteignis très doucement le sol, et ma surprise fut de taille : je ne m'enfonçais nullement dans la neige poudreuse et légère. Je marchais, lourdement chargée, sans aucune gêne.

Je m'approchais de Malakine.

Ses yeux rouges étaient dilatés et sanguinolent. Il posa lourdement sa tête dans la neige.

–« Merci mon ami, sans toi je ne serai jamais parvenue jusqu'ici. Comment puis je te remercier, penses tu que je puisse te faire chauffer de l'eau ? »

–« Mes forces m'abandonnent fillette. Vois tu ce que je vois ? ... les vertes savanes de mon enfance, et ces grandes chutes d'eau où je m'abreuvais avec les miens ? La chaleur du soleil, bien avant l'éclipse, cette eau partout présente, et cette paisible harmonie de chaque chose toujours et partout ? Pourras tu seulement nous ramener cette paix et ce merveilleux et précaire équilibre que nous avons connus au paroxysme de la Flamboyance. La magie est en chaque chose, il ne nous reste qu'à la révéler à l'oeil candide et trop plein des oublis de nos peines. Te voilà à la croisée des Mondes, ne trahis pas les Muses, rencontre les Dames, apaise les Anciens afin qu'ils te donnent la clé. Reste toi même, humble et toujours à ta place, même s'il t'arrive de côtoyer la fabuleuse quintessence de nos rêves. Ne brûle pas tes ailes à trop frôler l'Astre ! Donne à tous ceux qui nous ont quitté le pouvoir du retour des Flammes. Va Orphèle, mondes et harmonies n'attendent plus que toi ! »

Il s'affaissa bruyamment. La neige semblait tomber moins vite sous la lune glauque et pâle. Il ferma ses yeux d'où glissaient de longues larmes, qui, saisies par le froid intense, mourraient en une myriade d'étoiles de givre comme autant de paillettes.

Il me sembla entendre au loin vers le nord, la complainte triste des loups, qui hurlaient à la lune.

Je restais seule, absente, le coeur gonflé par mes peines, réalisant à nouveau qu'un être allait donner sa vie pour que s'accomplisse cette quête. Je pris les Muses à témoin, la voix pleine de colère. Mais le vent éparpillait mes mots avec conscience et méthode, alors qu'un écho abstrait et lointain en dénaturait leurs sens. Le froid m'obligeait à sautiller sur place, j'aurai voulu rester un peu avec Malakine, pour l'accompagner sur le pont fragile qui relie les deux rives de nos existences. Il semblait apaisé, son grand corps était tout recouvert de glace, il respirait doucement. Seule sa tête semblait inaccessible à la froidure. Elle restait chaude, et une vapeur sépia l'entourait d'un halo jaunissant et aléatoire, comme l'éclat d'une flamme qui danserait, apeurée et fragile, comme un ultime témoin. Je lui caressai le front, l'embrassai longuement, puis commençai à gravir la pente douce, qui semblait mener jusqu'à une falaise luisante et gelée.

Je me retournai souvent, rien ne bougeait, tout semblait prisonnier de la glace et du froid irréel qui régnaient ici. Mes pas étaient précis, la neige me portait sans peine, et je ne me sentais nullement essoufflée. Lorsque j'arrivai sur le haut de la butte, je m'adossai à une falaise noire et scintillante, toute ourlée de fils de glace, qui semblaient la parer comme d'inestimables joyaux. Je dominai cet irréel paysage fait de vals et vallons arrondis, immaculés, déserts, qui semblaient se prolonger à l'infini. Parfois je me demandai même s'il ne s'agissait pas d'un effet d'optique, car il me semblait que certaines chaînes de sommets se répétaient à l'identique, comme renvoyés par une série de miroirs éphémères et subtils. Je devinais encore le cimetière, plus bas, sous la neige épaisse, et imaginai le corps abandonné de Malakine, bien plus que je ne le voyais. Le vent me griffait le visage avec force, et mes yeux pleuraient de froid. En me retournant, le coeur serré, j'observai la falaise. Elle était droite et abrupte, je n'en voyais pas le haut à cause de son léger galbe, qui semblait l'entraîner derrière sa propre masse. Par endroits, le gel n'arrivait pas à faire corps avec elle, et je devinai son essence d'ébène, avec quelques marbrures d'un minerai blanc, à moins qu'il ne s'agisse des veines d'un métal que je ne connaissais pas.

J'enlevai mes gants pour toucher la pierre. Elle était tiède, et pourtant aucune vapeur ne se dégageait de l'ensemble.

J'assurai ma prise, et je montai de plusieurs mètres en quelques instants.

Le vent résonnait dans la paroi, glissait tout contre elle, se lovait en chimères indomptables, tourbillonnait hagard, puis reprenait son ballet un peu plus loin. Il semblait jouer contre cette verticalité incongrue, mais s'abstenait de me toucher.

De longues heures s'écoulèrent. La nuit était toujours là, baignée de lune, et le vent redoublait à mesure que je m'élevais. Mon sac gênait mes mouvements, et mes mains étaient ensanglantées, tant le contact avec la pierre était rugueux et acéré. Je frappais la glace avec mon pied, afin de la faire éclater en mille fragments puis, j'essayais d'assurer ma prise, afin de me hisser de quelques centimètres de plus. Parfois je restais suspendue à mes mains, cherchant vainement une assise pour y poser mon pied. Le contact avec la paroi était étrange, le froid vif m'engourdissait, mais la pierre, elle, n'était jamais glacée. Elle semblait dotée d'une vie intrinsèque, et quelquefois, je me surprenais à l'entendre gémir. A d'autres moments, il me semblait percevoir le battement régulier d'un coeur, puis cet instant fugace disparaissait, anéantissant cette osmose minérale.

Je repris mon souffle sur une petite surface plane, je dominais maintenant le sol d'une cinquantaine de mètres. En me retournant à nouveau, j'observai tout en contrebas le corps sombre de Malakine. Il semblait dominer les restes du cimetière. A mesure que je me familiarisai avec le décors, j'imaginai que ces vallons n'étaient en fait que de grands tertres formés des ossements de quantité de mastodontes, qui, au fil des siècles, venaient tous finir leur jours dans ces parages intemporels et glacés. Soudain un coups de vent me surprit, et je tombais du promontoire. Je hurlai, et mes mains, dans un geste désespéré, battant le vide, essayaient de s'agripper à chaque aspérité. La roche me griffait, m'entaillait, et chaque fois que je rebondissais sur la paroi, mes os répercutaient le choc sourd et brutal de ma chute.

...... L'odeur du jasmin, la foule sur le marché de Shushan, les mille couleurs du nuancier de mon père, cette gouttelette d'eau, qui met un temps infini avant de tomber et se fracasser sur le grand bassin du palais de Klanpar, Jinkar, et son regard perlé d'azur, nos lèvres qui se touchent, son premier baiser fougueux, nos corps qui se rejoignent, se découvrent, se complètent et fusionnent en une indécente incandescence, ce fantasme mille fois rêvé, et ma main qui referme à jamais ses yeux dans le brûlant désert de Keshe.....

L'arrêt fût brutal. La lanière de mon sac était prête à se rompre. J'étais suspendue contre la falaise, accrochée à la sangle de mon sac, qui s'était prise dans une arrête de roche. Avec d'infimes précautions je me remis sur mes jambes, exécutant un difficile rétablissement sur une étroite dalle débarrassée de son carcan de glace. Je mis longtemps à reprendre mes esprits. Je ramenai mon sac, le dégageant de son étreinte forcée et salvatrice. Je n'avais rien perdu. Tirant une outre, je déglutis difficilement, avant de m'asseoir et de boire tout mon soûl. Mes jambes pendaient dans le vide. Je ne discernais plus rien, j'étais dans un épais brouillard, froid, qui s'obstinait à m'interdire de voir au delà d'un mètre de distance. Je décidai de dormir, j'étais exténuée. Je m'enroulai dans la pelisse que j'avais emmenée et me sanglai à la paroi. Je pleurai longtemps avant de m'assoupir exténuée, terrassée par mes émotions.

[A SUIVRE]
Mille bises
Gaëlle

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Le rêve est la raison d'un seul
La réalité est la folie de tous


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