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Balafres et mise à terre IV


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 Sujet du message: Balafres et mise à terre IV
MessagePublié: 24 Avr 2008, 11:00 
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Safran
Safran
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Inscription: 17 Sep 2007, 06:50
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Localisation: Entre Vercors et Brocéliande
Nous mangeâmes rapidement ce soir là. Evidaar fût peu bavard, il semblait apaisé, empli d'une quiétude riche et rare, dont il jouissait pleinement. A la fin du repas, il me servit un verre d'un liquide incolore, aux fragrances délicates mais entêtantes. Cela n'avait pas de goût, seulement une odeur aérienne, diffuse, lointaine. J'y retrouvais les senteurs boisées des grandes forêts des Parages, de la vanille, de la mélisse, de l'orge fraîchement coupé, de la cannelle, des mûres sauvages, du jasmin et du miel. Chaque parfum offrait ses délices, puis semblait céder la place au suivant, en un tourbillon agencé par le souffle doux d'un aquilon taquin.

Mes paupières se fermèrent d'elles même, et ma nuit fût calme et douce. Je rêvai d'un palais entre ciel et terre qui semblait fait d'air, images mouvantes et fugaces d'un royaume qui tenait tout entier dans le grand palanquin fixé sur le dos d'un mastodonte si grand, qu'il était terre à lui tout seul. J'y voyais des tigres d'or aux prunelles d'émeraude, qui sautaient de rampes en balcons, d'encorbellements en tourelles, de corniches en terrasses, au gré de leurs jeux mutins et fantasques. Ils évoluaient dans un palais de marbre blanc, courraient entre des jardins tropicaux suspendus, des plans d'eau emplis de fleurs blanches odorantes et flottantes, des cascades, se glissant entre de somptueuses sculptures en albâtre, qui représentaient toutes de merveilleuses femmes, peut être les Muses elles même.
Des singes capricieux et farceurs grimpaient le long de hautes colonnes blanches immaculées, qui soutenaient de somptueux balcons, accueillant de fantastiques sculptures.

Alors que je souriais, inconsciente et sereine, ébahie devant une succession de bassins plats et carrés, qui se suivaient en paliers successifs jusqu'à atteindre le grand jardin, et au sein desquels sautait une traînée d'eau, qui dégringolait de l'un à l'autre immuablement, je vis une jeune femme, toute vêtue de blanc, qui avançait doucement, évanescente, sublime. Je ne parvenais pas à distinguer ses traits, elle était entourée d'un halo blanchâtre qui irradiait de tout son être. Ses longs cheveux blonds, bouclés glissaient en cascades sur ses épaules, et descendaient très bas. Elle avait une multitude de fleurs piquées dans de fines tresses, et était entourée de papillons multicolores, qui virevoltaient désinvoltes et pressés autour d'elle, les ailes trop pleines de cannelle. Sous ses pas naissaient de sublimes fleurs bleues, aux calices rebondis de pollen. Sa démarche était mesurée et sage, et elle n'en était que plus divine, presque aérienne. Un diadème de gemmes blanches maintenues par une ciselure d'une finesse absolue ornait sa tête altière, et l'obligeait à marcher raide et droite. Il n'y avait pas d'autres gens autour d'elle, personne, seuls des animaux multiples, divers et variés peuplaient cet étrange palais blanc. Son regard semblait être d'un bleu limpide et absolu, et se perdait dans un infini de songes, lui conférant une tristesse intrinsèque et discrète. Pleurait elle doucement ? Chacune de ses larmes devait être un joyau, un diamant, un trésor ! J'éprouvais du respect pour elle, et de la compassion, j'espérai pouvoir lui venir en aide, si jamais je devais la rencontrer. Mais rencontre t on encore ses rêves ?

C'est en songeant à cette surprenante controverse, que je me réveillai à l'aube. Tout était calme. Le vieil homme s'affairait autour d'un petit feu, il finissait de mettre un liquide poisseux et sombre dans de petites fioles de verre épais et colorés. Il jeta un oeil sur moi, alors que je me levai. Son sourire était simple, naturel, il semblait heureux. Malakine barrissait, il était couché sur ses quatre genoux, et Evidaar lui avait fixé une nacelle sur le dos, de laquelle tombaient deux échelles de cordes, de part et d'autres de l'aire fabriquée en branchages.

–« As tu bien dormi Orphèle ? »
–« Oui, mon repos a été peuplé de rêves magnifiques, j'ai rencontré une Dame sublime, tout en blanc, qui semblait régner sur un château aérien magnifique, plein de parcs et de jeux d'eau. Cela te dit quelque chose ? »
–« Il ne m'appartient pas de te révéler tes rêves, mais sache que rares sont ceux qui ont aperçu la Dame ! Je pense que l'éclat qui est maintenant en ta possession te permettra à terme de l'approcher et peut être, qui sait, de lui parler ! J'espère que tu sauras supporter le poids de certaines révélations, si d'aventure tu deviens celle que nous annoncent les légendes. Il est des secrets qui sont plus terribles, plus destructeurs même, que le sang et la mort ! »

Il m'avait préparé un autre sac, tissé dans un voile aérien et limpide, presque transparent. Il avait glissé les fioles, plusieurs sortes de simples, dont Affizza m'avait déjà parlé et que je reconnaissais sans peine, et de grandes plaquettes plates, emballées dans des tresses de feuilles.

- « Pensez vous que je puisse avoir besoin de tout cela ? »
–« Il se peut que cela te soit utile, si tel était le cas, je sais que tu pourras faire face à bien des évènements inattendus, dont le chemin que tu t'apprêtes à suivre est empli. Je t'ai aussi mis quelques habits très chauds, ils sont dans une besace que j'ai accroché au palanquin. J'espère ne rien avoir oublié Orphèle, que ton voyage soit riche et utile. Va maintenant mon enfant, et n'oublies pas, souvent la vérité est devant nous, alors que nous regardons au delà d'elle..... »
–« Comment te remercier mon ami ? Je souhaite de tout mon coeur que tu puisses enfin regagner ton échoppe à Lorgol, en continuant à oeuvrer pour le bien de l'Harmonde. Merci mon ami, merci ! »

Je le serrai sur mon coeur, puis il m'aida à grimper sur la nacelle fixée sur le dos du mammouth. Il s'approcha de l'animal, qui baissa la tête, et il se hissa sur la pointe des pieds, en lui murmurant quelque chose, ce fut très bref, un mot peut être, guère plus. L'énorme pachyderme s'ébroua, et se leva facilement, il souleva sa trompe et hurla un son terrible, qui dût s'entendre par delà les plus hautes cimes des plus hauts arbres. Evidaar s'avança vers son gîte, et bizarrement sa silhouette devint floue, puis s'évanouit aussi brutalement qu'elle semblait s'être dissipée. Rien pourtant ne semblait avoir bougé. J'entendis alors distinctement deux voix dans mon esprit, l'une , celle du vieil homme, me remerciait vivement avec chaleur, l'autre, celle de Malakine, m'apprit qu'il sentait arriver de grands bouleversements dans l'Harmonde. Il m'expliquait aussi qu'Evidaar avait enfin rejoint son monde, et que sa longue attente venait de se terminer avec ma venue, et qu'il lui fallait maintenant me guider jusqu'au passage. Mon coeur se serra. Je m'imaginais dans cet abris mouvant, griffée par les branches, harcelée par les multiples nuages d'insectes bourdonnant que recelait cette immense forêt brûlante.

En vérité il n'en fut rien. La nacelle était assez large, elle devait faire deux bons mères carrés, et une hutte en voile d'une finesse extraordinaire, toute brodée de feuilles et d'oiseaux, obstruait l'avant de cet abris. A l'intérieur, j'y trouvais de grandes feuilles humides, qui accueillaient nombre de fruits succulents, ainsi qu'une sorte de litière matelassée. La plate-forme elle même était ornée d'un grand tapis aux motifs orientaux, très épais, et d'un petit siège attaché au palanquin. De longs rideaux flottaient autour d'armatures verticales, et je pouvais isoler toute la nacelle si je le souhaitai. J'aperçus les deux tigres, qui semblaient ouvrir la marche devant nous. Je ne pris conscience que bien plus tard, que les arbres semblaient s'ouvrir sur le passage du mammouth. Ils s'écartaient respectueusement, retiraient leurs branches basses, et nous laissaient aller en plein coeur de l'immense forêt. De grands singes nous suivaient en hurlant, loin au dessus de nous, puis ils se lassaient, et repartaient en arrière, dès que l'on avait franchi les discrètes frontières de leurs territoires. Malakine marchait vite, le roulis était agréable, engourdissant, et je me laissais aller à une douce quiétude. Parfois des animaux coupés notre route, ils nous regardaient, interdits, puis décampaient sans se retourner. Le forêt était épaisse, et même le sous-bois semblait atrophié, asphyxié par la masse des feuilles, qui filtraient la lumière comme un tamis très serré. La première journée de marche se passa agréablement, et me sembla très rapide. Le pachyderme ne s'arrêta pas la nuit venue, il continuait, invariablement, s'enfonçant toujours plus dans ce grand tout, s'y dissimulant presque entièrement. Au milieu de la nuit, il ralentit. Je me réveillais instinctivement.

–« Il faut mettre tes vêtements Orphèle, il va faire très froid »
–« Merci Malakine, mais dis moi, comment connais tu le chemin ? Es tu certain de la direction que tu prends ? »
–« Oui, absolument Orphèle, Chacun de ma race connaît cette sente, il sait qu'il doit la prendre une fois dans sa vie, car il en est ainsi. Il lui faut rejoindre la croisée des mondes, pour quitter notre première vie. »
–« Que veux tu dire ? Tu vas mourir ? »
–« Oui, mais c'est pour mieux renaître, il en va ainsi pour tout être vivant ! »

Sa logique semblait implacable. Ainsi entreprenait il avec moi son dernier voyage. Alors que je finissais de m'habiller avec les pelisses chaudes que m'avait préparé le vieil homme, je me sentis soudain terriblement triste. Comment imagier que ce mastodonte mettait son dernier voyage à mon service ? Où allais je de son pas si sûr ? Quels équilibres allais je ébranler, avec mes certitudes, et mes utopies ? Étais je suffisamment forte pour mener à bien ce terrible périple, qui laissait sur le côté de la route nombre de mes amis ? Est ce que tout cela était seulement justifié ? Allais je voir les Anciens comme Cupidéa me l'avait demandé ? J'aperçus en contrebas du chemin un obélisque noir et luisant, elle était cassée en deux morceaux. Le tronc d'un côté, et la pointe pyramidale de l'autre. Alors que je m'appretais à crier à Malakine de s'arrêter, un vent glacé me frappa de toute ses forces.

La nacelle se para instantanément de mille atours scintillant, toute brodée de glace vive. Malakine trébucha, puis redoublant d'efforts, il commença sa longue remontée d'un tumulus de neige. Aussi brusquement que la forêt avait fait place au désert, celle ci disparût en un instant sous la neige brutale. Une lune ronde et morne illuminait une succession de monts arrondis, immaculés, d'où ne sortait aucune aspérité à laquelle accrocher son regard. Un monde lisse, froid, balayé par le blizzard rebelle et déchaîné. Les cimes galbées des tertres semblaient enveloppées d'une brume, cela devait être la neige, balayée par le vent, qui s'envolait vers le ciel. Soudain J'aperçus quatre formes ramassées, immobiles, qui luttaient contre le vent et qui nous regardaient. Vision d'effroi lorsque je me rendis compte qu'il s'agissait de quatre grands loups gris, à la houppelande gonflée de froid et de neige. Leurs yeux se voyaient nettement malgré la distance respectable, ils étaient d'un vert absolu. Malakine poussa un barrissement terrifiant, qui se répercuta longtemps ballotté par les cimes. Les loups se retournèrent doucement, et s'écartèrent à leur tour de notre passage. Les tigres n'étaient plus là.

[A SUIVRE]

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Le rêve est la raison d'un seul
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