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Balafres et mise à terre II


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 Sujet du message: Balafres et mise à terre II
MessagePublié: 24 Avr 2008, 10:57 
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Safran
Safran
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Localisation: Entre Vercors et Brocéliande
Mes doigts engourdis et raides serraient cette clé, comme s'il s'agissait de l'ultime planche de salut. Survivre ! Cette pensée évoluait dans mon esprit. D'abord murmure, elle amplifiait maintenant toute mon âme, comme un leitmotiv entêtant. Il n'y avait pas un bruit. Les couleurs changeaient, doucement, toutes en demies teintes, marbrées, nuancées, pastelles ou violentes tout à la fois. Je me rappelais l'artiste, qui faisait danser les couleurs sur sa palette, il mélangeait avec délicatesse une multitude de pigments, et les couleurs se formaient en un feu d'artifice de nuances duquel il savait extraire les plus belles afin de les laisser sur une toile fine, soulignant son esquisse d'un trait de beauté. Il me disait « Profite de cet instant Orphèle, profite, car en séchant tu ne verras plus l'éclat des couleurs ! ... Vois tu, un papillon est beau, sa nature est belle, il est extraordinaire, selon l'endroit où tu le regardes, il change de couleur, il en a plus de mille, toutes plus vives les unes que les autres. Cette multitude naît de la multiplication des points de couleurs, chacun d'eux agît comme un axiome et ils sont multiples, offrant à nos regards émerveillés d'innombrables équations, qui combinant ces points de couleurs et l'éclairage ambiant, donnent une profusion de nuances .... Vois tu chère enfant, j'ai découvert ce secret, celui de l'ultime perfection, et tous me prennent pour un vieux fou. Mais je sais que j'ai raison, d'autres que moi en ont déjà parlé, les Anciens, ceux qui connaissaient les Muses, il y a de cela bien longtemps ... tu m'écoutes petite ? Ou bien es tu comme les autres ? ». Oh oui je l'écoutais ce vieil homme, souriant de voir sa barbe pleine de tâches de peintures odorantes. Il ne me regardait pas, il n'était plus vraiment avec nous, il vivait son Art, cherchant toujours plus de couleurs, de nuances, caressant les ombres pour souligner ses lumières. J'aimais l'odeur des terres qui composaient ses pigments. L'une d'elle était dorée, elle me fascinait. « Ah ah, je vois que tu as bon goût fillette, c'est de l'or des fées, un pigment magique... » et il riait en recouvrant le pot d'une toile blanche et rêche. « Je le recouvre, car je ne veux pas qu'elles viennent me le reprendre ! Mais chuuuut, cela est une autre histoire » Il se replongeait dans l'étude de ses pigments, tandis que j'essayais d'entrouvrir le voile, afin de surprendre une fée qui viendrait reprendre son or.
Perdue, seule dans ce désert, je regardais monter l'aube, et je sentais cette odeur unique, que je connaissais si bien, et je voyais ces multiples vagues chromatiques virevolter dans le ciel naissant. Ce sable qui était partout, n'était autre que l'or des fées du vieil artiste de Shushan !
Mon coeur battait à tout rompre dans ma poitrine. L'aube n'était déjà plus qu'un songe, transformée par le soleil en une belle journée d'été. Il allait faire très chaud. Le sable, humidifié dans la nuit froide semblait attiré vers le ciel, et de multiples fumerolles créaient autant de ponts entre les deux plans. Les fragrances, que nous offrait alors le grand désert de Keshe, étaient un mélange subtile de musc, de jasmin, d'ambre et de cade. Je me levais enfin, m'approchant de l'obélisque noire. Elle était imposante, mesurait près de 10 mètres de hauteur, et sa base devait avoisiner les quatre mètres carrés. Du moins ce qui était visible, car il semblait bien qu'elle descende loin dans les entrailles du désert. Sa paroi était parfaitement lisse, comme une brèche de marbre, froide et absolument douce. Elle ne semblait pas être endommagée, d'une quelconque façon, et devait dresser sa silhouette massive depuis de nombreuses saisons. Le sable était lisse, au loin les dunes se succédaient en vague presque à l'infini. Pas la moindre trace de vie, et encore moins celle d'une ancienne cité. Pris dans son ensemble, le sable était doré et chaud, mais lorsqu'on isolait un grain, et qu'on le présentait au soleil, il devenait transparent, avec de multiples reflets de rose et de jaune mêlés. La clé ne correspondait pas à l'obélisque, et rien ne me permettait de la glisser dans une ouverture précise. Je récupérais quelques armes, la rapière de Mikareste, et l'épée courte de Jinkar, une grande outre de peau, et deux sacs, l'un pour y mettre la viande séchée et les dattes, l'autre quelques affaires. Puis résolument je repris le chemin des dunes, sans chercher à revenir sur mes pas. Je devais cela à mes amis.

Il était près de midi, et le soleil, haut dans le ciel cognait avec une virulence tout à fait exceptionnelle. Je ne sentais plus mes jambes, le sable léger ralentissait mes pas, je m'enfonçais dans cette tiède masse mouvante, et lorsque je ressortais le pied de ce linceul blond et brûlant, les grains roulaient sur eux même et effaçaient mes traces.

J'avais noué un tissus de soie aux couleurs vives autour de mes cheveux, mais la chaleur était insupportable.

Depuis le levé du jour, il me semblait que j'étais entrain de m'enfoncer doucement dans une large cuvette, je ne voyais pas d'autres piliers pour me guider, et les dunes semblaient s'étirer irrémédiablement vers le ciel, grandissant au fil de mes pas.

Tout me semblait démesuré.

J'ai soif, mais n'ai presque plus la force de porter l'outre de thé brûlant à mes lèvres.

J'avance comme un automate, un pas après l'autre, cherchant désespérément la moindre trace d'ombre sous le feu ardent et céleste.

Il est des moments dans la vie où l'on ne ressent plus rien, nous faisons face à une telle lassitude, que tout nous paraît banal, inutile, au diapason de notre propre existence. Je sentais mes lèvres gercées et boursouflées, brûler littéralement, et les larmes de sueur griffaient mes yeux à la manière d'un acide. Mon corps me semblait lourd, irréel, absurde, je me demandais pourquoi j'étais ici, dans ce désert, sans mes amis, seule, à rechercher des chimères.

Que voulais je donc me prouver ?

Voulais je encore faire payer Cupidéa pour la mort de mes compagnons ?

Et ces marchands qui nous avaient escorté avant de nous tuer, pourquoi ne s'étaient ils pas intéressés à nos gemmes ? Depuis quand étaient ils insensibles aux richesses ?

Au loin, dans le halo de mes larmes, je voyais de grandes constructions, de grandes tours hélicoïdales, qui miroitaient sous le soleil à son zénith. Elles avaient toutes les couleurs des mondes, et tant de nuances qu'il m'était impossible d'essayer seulement d'en recenser, ne serait ce que la moitié.

« Cette multitude naît de la multiplication des points de couleurs, n'oublie pas petite, le secret de l'ultime perfection, le carré sacré des Muses ... »

Ces mots résonnaient dans ma tête endolorie, comme un échos qui ne veut pas s'éteindre, « c'est toi qui a la clé maintenant ... » La clé de mes délires sans doute ?

Mais ne dit on pas que les rêves nous permettent de parler aux Muses ?

Le soleil tournait, tournait, tournait au dessus de moi, toujours plus vite, comme une roue désarticulée en quête d'absolue inertie.

Je revoyais le rire limpide de Ferkhiine, jeune garçon de vingt ans issu de l'Enclave, qui espérait devenir corsaire après ses aventures, Mikareste et Myglicide, frère et soeur, mes meilleurs amis depuis de nombreuses années, qui venaient comme moi de Shushan l'Impériale. Leur père était un tisserand émérite, un artiste qui savait dompter les plus belles couleurs, et dont les produits s'arrachaient en Janrénie et dans les baronnies. Azuréa, au regard plus bleu que la perle des mers, cette jeune méduse que j'avais rencontré par hasard il y a quelques années, et qui ne m'avait plus quittée depuis. Elle n'aimait pas ses soeurs, les trouvant trop brutales et machiavéliques, elle n'aimait pas non plus les poisons qu'elle considérait comme malsains et traîtres. Elle voulait nous suivre car elle savait qu'au delà du désert, dans les infernales tours noires, sa tante cherchait encore les vestiges de l'Art de la pétrification. Elle voulait simplement la rencontrer et l'en dissuader ! Quelle entreprise ! Et Jinkar, mon secret amour, je ne le lui avais jamais dit, et pourtant nous nous connaissions depuis toujours. Il se voulait troubadour, et jouait du luth, il était loin de toute querelle, cherchant à convaincre par ses idées, et de longues discussions sans fin, qu'il agrémentait avec sa musique. Il venait des Communes princières et était satyre, mais je ne crois pas avoir vu meilleur esprit que lui, chantre de la tolérance et de la justice, prônant le mélange des cultures pour parfaire l'idéal de l'Harmonde.

Mes amis, attendais moi, je vous rejoints....

Je me souviens encore avoir arraché mes vêtements, et je me vois courir, nue, sous les ardents rayons de l'astre diurne, ivre de joie, et si près de la folie, que la mince cloison qui sépare les deux mondes avait dû quelque peu s'entrouvrir.

Puis la chute dans un trou d'ombre, froid et glacé.

Lorsque j'ouvris enfin les yeux, il faisait nuit. J'entendais le bruit d'une chute d'eau à quelques mètres de moi, et de nombreux cris d'oiseaux ou de singes. J'étais étendue sur une natte de longues feuilles tressées, bourrée de chanvre. Quelques bougies éclairaient doucement une grande hutte qui semblait m'abriter, tout en distillant un parfum entêtant, pareil à celui des fumeries de Shushan.

Je m'habituais doucement à la douce lueur de la hutte. Je me redressais sur un bras. J'étais nue, mon visage enveloppé dans une autre natte tressée, pleine d'un onguent terreux à l'odeur suave. Mes affaires sont rassemblées, lavées et pliées près de moi sur un tabouret fait dans un bois rouge de toute beauté. Il y avait mes sacs de cuir et mon outre rebondie, visiblement remplie.

Je sentais ma peau, elle était fraîche et douce, baignant dans une fragrance délicate et sucrée que je ne connaissais pas. Il y avait d'autres nattes à côté de moi, mais aucune n'était utilisée.

Au dehors il y avait les craquements caractéristiques d'un gros feu, qui emplissaient la nuit. Je ne savais pas combien de temps j'avais passé dans cette grande hutte, ni où je me trouvais, la luxuriance environnante me faisait plus penser aux plaines de Bokkor, qu'aux grands ergs keshites.

Je crois que je me suis encore assoupie, et ce n'est que plus tard, que je m'obligeais à me lever. Une grande partie de mes courbatures avaient disparues, et ma tête ne me lançait plus du tout. Je m'habillais doucement, et j'enlevais le cataplasme de mon visage. Ma cicatrice était fine, et totalement refermée, sans la moindre trace de croûte. Je ne savais comment on s'y était pris, mais jamais je n'aurais seulement imaginé avoir une meilleure réparation de mes chairs.

Je me sentais ragaillardie, prête à reprendre ma route. Mes sacoches étaient pleines de victuailles, des fruits, de la viande, des sucreries au miel. La bourse de gemmes était à sa place, ainsi que la clé, rien ne me manquait, bien au contraire, j'avais même plus qu'à mon arrivée.


En sortant de la hutte, je m'aperçus qu'il faisait jour, mais la lourde canopée empêchait le soleil de percer la luxuriante végétation tropicale.

Il y avait une dizaine de huttes aux alentours, toutes sur le même modèle. Sur pilotis, elles formaient une pièce commune aux dimensions appréciables, surmontées d'une armature recouverte de grandes palmes végétales comme je n'en avais jamais vu. Au dessous de la hutte proprement dite, entre les piliers, il y avait une pièce à vivre, où l'on faisait les tâches ménagères, et où l'on prenait les repas.

Un large ruisseau serpentait devant les huttes, plongeant les racines des hauts arbres dans une sorte de mare ondulante pareille aux mangroves de Bokkor. Plus loin il se jetait dans une sorte de lac, dans lequel tombait une chute d'eau vertigineuse. La densité des arbres était telle, que la hauteur de la falaise qui accueillait la cascade était noyée dans un imbroglio de troncs de souches, de feuilles, de lianes, et que l'on n'en devinait même pas le haut.

Il faisait très chaud, l'air était saturé d'humidité, et les vêtements collaient déjà à ma peau.

Une clairière avait été taillée à coup de coupe coupe, quelques troncs avaient été coupés à près d'un mètre de haut et servaient de siège. L'essence de ces bois était d'un rouge absolu, veinée de noir.

Le feu que j'avais entendu de la hutte était au centre de l'espace et plusieurs femmes se tenaient en cercle autour de lui, vaquant aux tâches quotidiennes, reprisant, aiguisant les armes, réparant de grands filets lestés, ou préparant le repas.

La faune était multiple, des nuages d'insectes virevoltaient au dessus de l'eau, le cris des oiseaux dans les frondaisons étaient assourdissant formant un vacarme ahurissant déchiré parfois par les cris suraigus de quelques grands singes qui bondissaient d'arbre en arbre à une hauteur exceptionnelle.

Je savais que je ne devais pas avoir peur, ce peuple m'avait accueilli et soigné, je ne craignais rien sans doute.

Je m'approchais de la clairière et du feu. Une jeune fille sortait de l'eau, elle s'était enduit le corps avec des pétales d'une fleur large et rose, et avait piqué la dernière dans ses longs cheveux noirs. Elle me sourit, s'avança et me pris doucement la main. Sa nudité ne semblait pas la gêner, son corps sculptural était en tous points parfait. Elle était fine, élancée, le visage altier et de grands yeux noirs. Son teint était presque noir, pas autant qu'un bokkori, mais pas loin. Ses seins fiers et arrogants semblaient pointer vers le ciel, et sa toison , d'un noir d'encre, était parfaitement taillée. Elle devait avoir une quinzaine d'années.

Elle m'entraîna vers la clairière, et je m'aperçus qu'il n'y avait pas un seul homme. Même les enfants qui jouaient étaient tous du sexe féminin.

Sa voix était chantante et claire, lorsqu'elle s'adressa à, me sembla t il, la plus âgées des femmes, et elle parlait un keshite ancien, que l'on n'avait presque perdu et dont la dialectique était difficile et hachée.

Toutes les femmes me sourirent, la doyenne se leva, et me pris dans ses bras d'une manière amicale. Me tenant par les épaules elle me dit d'une vois exquise et chantante : « Tu es le signe que nous attendions ! » « Il y a longtemps, les sages avaient déjà prédit qu'une jeune femme arriverait blessée dans la tribu des Latifas, qu'elle aurait la clé, et qu'il fallait la soigner et lui faire bon accueil, car elle sera porteuse de changements, et détiendra le destin des peuples de l'Harmonde. » Quand tu seras prête, la plus brave d'entre nous devra t'emmener jusqu'au chemin du grand cimetière, par delà les ruines, tu y découvriras les signes anciens et tu composeras notre destin. Nulle autre que toi ne peut y être admise, tu seras seule, toujours, car seule une femme peut trouver le passage du coeur des Muses... » « Repose toi encore, et quand tu seras prête, Affizza t'emmènera ! » (elle me désignait la belle adolescente qui m'avait accompagnée à la clairière).

Mille bises
Gaëlle

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Le rêve est la raison d'un seul
La réalité est la folie de tous


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