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Balafres et mise à terre I


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 Sujet du message: Balafres et mise à terre I
MessagePublié: 24 Avr 2008, 10:55 
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Safran
Safran
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Inscription: 17 Sep 2007, 06:50
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Localisation: Entre Vercors et Brocéliande
Longtemps, j'ai entendu les derniers cris de souffrance des suppliciés. Aux heures les plus froides de la longue nuit des déserts keshites, je me suis sentie humiliée, seule, perdue, honteuse, glacée. Ma longue coupure avait arrêté de saigner, je n'avais plus le goût amer du sang dans la bouche, mais je savais que la beauté de mon visage serait maintenant douloureusement marquée par la balafre qui devait rejoindre mon oreille à ma bouche en diagonale. Seule, triste, je ne comprenais toujours pas les motivations de ce groupe de marchands, à l'air inoffensifs, ils nous avaient permis de les accompagner dans les sentes mouvantes des dunes, nous mettant en garde contre les dangers du désert, surtout les skillgals, que nous ne connaissions pas, ce genre de petits vers ventrus, qui attaquent lorsqu'ils sont dérangés, et que l'on a l'imprudence de marcher les pieds nus. Ils laissent une plaie purulente baignée d'un liquide visqueux, qui gangrène immanquablement dans l'heure suivante, et dont il n'y a pas encore de remède. Et ces nuits passées à chanter cette merveilleuse litanie des hommes du désert, ce semblant de mélodie venue des temps les plus anciens, d'avant le cataclysme, cette humble supplique chantée que l'on adressait alors aux Dieux, sublimée et authentique, à l'harmonie doucereuse qui ne vivait que grâce aux longs sanglots étranglés qu'ils avaient dans la voix. Quelle augure a donc transformé ce chant en champs de ruines et de glas ? Pourquoi au passage de cette étrange obélisque noire, se sont ils sauvagement transformés ? Qu'est ce qui les a donc poussés à nous égorger, avec leurs minces poignards à la lame plus courbe que le croissant de lune ? Sans un mot, sans un cri, de paisibles marchands ils se sont transformés en redoutables guerriers du désert ! Mes cinq compagnons décimés, sans même avoir le temps de sortir leurs armes, tant l'attaque a été prompte ! Morts pour rien, sous le chaud soleil keshite. En les enterrant à la fin du jour, les yeux brouillés de larmes et de sang, j'ai remarqué qu'ils conservaient encore les stigmates de la surprise, qui masquait leurs visages de son linceul tissé dans les fils de l'absurde. Adieu Ferkhiine, Mikareste, Azuréa, Myglicide, et Jinkar, fiers guerriers des peuples de l'Harmonde, qui ce soir a perdu toute son harmonie. Me voilà seule, et mes pleurs n'ont comme échos que les mugissements des quatre vents du désert, griffures anodines et danses des sables sur la grande étendue endormie.
Quel mystère cache donc les ruines des peuples anciens, que Cupidéa nous a mandaté pour les retrouver ? Cette grande oblate des Terres Veuves savait elle le danger que nous encourions lorsqu'elle a décidé de nous envoyer retrouver le chemin des vieux royaumes ? Savait elle seulement que nous rencontrerions les soldats des destins ? Savait elle qu'elle nous envoyait à une mort certaine, sans même nous avertir d'un quelconque danger ? Mais alors pourquoi nous avoir donner tant de gemmes ? Elle nous a dit qu'il fallait payer le passage, oui, mais quel passage ? Pourquoi les marchands ne nous ont ils rien pris, comme s'ils n'attachaient aucune valeur à ce qui était matériel ? Et ces vieux chants, cantiques étranges et sans âges à la mélopée sans Art ? A quoi servaient ils ? Communiquaient ils avec les Anciens ? Prenaient ils leurs ordres ? Demandaient ils ce qu'ils devaient faire ? Mais alors pourquoi nous conduire si près du but ? L'obélisque noire n'était elle pas le premier message témoin de cette cité ancienne ? Mes compagnons sont ils devenus offrandes à ces Dieux anciens ?
Les questions s'embrouillaient dans mon esprit tourmenté, je me sentais lâcher prise, je perdais peu à peu la réalité des choses, comme une sorte de torpeur douceâtre qui m'envahissait progressivement, une sorte de tunnel, aux formes imprécises, aux relents de fragrances usées, intemporelles, que j'avais sans doute connu un jour, ailleurs, autrement, mais que j'étais incapable d'identifier. Tourbillons de couleurs, aux mille nuances, comme un écrin subtile, où dort encore parfois la pure Harmonie, celle vers qui l'on tend toujours, sans jamais même l'effleurer. Les tentures dessinaient une sorte de grande alcôve circulaire, et, ondulant sous les vents du désert, elles semblaient ouatées, opulentes, riches, faîtes dans des étoffes merveilleuse, aux mille fibres sublimes, et réunis d'une main experte en un foisonnant tissus aérien et léger. Il me semblait être sur le seuil d'un passage, j'entendais fugitivement et de manière lointaine, une douce mélopée, de nombreuses voix qui se mêlent, se fuient et se retrouvent, se suivent et se superposent, entités qui se cherchent et ne semblent s'illuminer qu'au contact de leur contraire, osmose fragile entre les voix basses et fluettes, comme une étreinte amoureuse, deux ombres qui n'en font qu'une, et qui se révèlent en pleine lumière sous une sonorité harmonieuse et fragile. Et ce goût de miel et de pollen, mille parfums exquis qui nous surprennent et nous entêtent tout à la fois acide, âcre, sucré, froid, chaud, multiples saveurs déconcertantes, qui s'unissent un instant, créant un instant de pure magie, un instant d'équilibre entre les contraires, précaire et subtile, sensation magnifique de torpeur, au sein de laquelle chaque sens trouve sa plénitude, révélant comme à regret l' absolue quintessence de son intrinsèque beauté, livrant une once de pure Harmonie.....
Quelques personnes racontent parfois cet intense instant où l'on touche l'Harmonie Absolue ! La plupart d'entre eux deviennent fous par la suite, car ils n'ont de cesse de retrouver cet état sublime, ou de vouer leur Art à tendre à cette perfection qu'ils ont su frôler l'espace d'un très court moment, mais qu'ils ne parviennent jamais à retrouver.
D'autres n'en parlent jamais, conservant jalousement cet état de transe, et ne vivant plus que pour cet instant, à jamais tourné vers le passé, oubliant tout ce qui les entoure, finissant souvent dans la caste des intouchables, ces mendiants illuminés partageant leurs corps, enveloppes charnelles qui restent sur l'Harmonde, et leurs âmes qui doivent, dit on, côtoyer les Dieux.
Je perçois cet entêtant claquement sec, il m'empêche d'être totalement imbibée dans cette étrange et magnifique perception, mais pour autant je ne l'identifie pas encore. Mon esprit lutte contre cette embolie d'Art, il ne me laisse pas, à mon corps défendant, m'immerger totalement dans ce flot impétueux d'harmonie. Bizarrement je lui en veux, il m'insupporte, qu'il me laisse vivre cet instant fabuleux, qu'il me laisse toucher cette sapience au lieu de me tirailler afin que je retrouve raison et réalité, ... et quelle réalité, où amertume et tristesse se disputent mon avenir ... vision glacée d'un quotidien qu'il me faut fuir à tout prix, et toujours ce sinistre claquement, toujours plus fort ! J'aperçois une grande cité évanescente, fugace, changeante, comme un reflet qui se voile, prêt à se rompre à chaque instant. Elle n'a pas de murailles, elle est entourée de grandes bornes noires, longilignes, qui se terminent en flèches. La ville grouille de monde, cela doit être un jour de marché. Il y a des venelles, comme les petites ruelles pavées et pentues des mille tours, de grands bassins rectangulaires où bruissent des jets d'eau splendides, comme ceux des beaux quartiers de Lorgol, cela ne ressemble en rien aux ribats habituels de Keshe, ou à de quelconque kraks fortifiés. Il me semble que je survole cette cité, je perçois tout ce qui s'y passe, un rat qui se faufile entre les détritus de l'arrière cour de cette auberge, ces enfants qui se battent, cette jeune fille qui se soustrait discrètement à la surveillance de sa matrone, éblouie par le spectacle de ces saltimbanques, afin de rejoindre son galant derrière l'échoppe d'un tanneur, ces spectateurs qui écoutent, attentifs, les récits d'un disciple de Stance, dans cette arène en demi cercle. Serait ce la vallée des poètes ? Mon esprit embrumé, prêt à choir dans ces délicieuses illusions, vient d'avoir un sursaut de rationalité, j'essaye de contracter mes mâchoires, il faut que j'arrête de claquer des dents, je sais que ce sera le silence, enfin ! Je revois Sagelli, la grande arche de pierre, mes compagnons, c'était il y a quelques jours à peine, ils étaient tous là, rieurs et fanfarons. Ma tristesse me tire doucement de ce cocon ouaté et futile qui emprisonne mes sens, le calme se fait, je maîtrise mon corps, les vents se croisent et s'emmêlent au dessus de moi, le froid intense irradie comme une chaleur douloureuse mes membres endoloris, étrange paradoxe ! Les images s'estompent doucement. Une à une elles disparaissent, comme des bulles de savon, des restes de souvenirs, prisonniers encore un instant sur la toile de mes songes, se dissipent les uns après les autres, comme autant de regrets qui s'ajoutent à mon tourment, ma blessure me fait mal, et déjà l'aube suave et incandescente irise les contreforts de l'horizon. J'ai froid, je pleure épuisée et désespérée serrant de toutes mes forces cette grande clé de bronze, que je ne connais pas.

[A suivre]
Mille bises
Gaëlle

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Le rêve est la raison d'un seul
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