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Segreto di Polchinela


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 Sujet du message: Segreto di Polchinela
MessagePublié: 24 Avr 2008, 10:32 
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Safran
Safran
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Segreto di Polchinela

Au loin, dans les violentes bourrasques, les vieilles embarcations tirent sur leurs chaînes, et gémissent, lancinantes, malmenées par les vagues déchaînées qui se brisent en hurlant sur les récifs de la côte.
Un gerfaut agonise, luttant contre les vents qui le plaquent sans ménagements comme un pantin hideux, désarticulé, accroché à ses cordes.

Les vieux menhirs semblent se découper sur la crête de l’escarpe, sempiternelles sentinelles, étranges veilleurs d’outre tombe, éclairés par la blafarde cocarde d’une lune rouge, qui sort parfois de derrière les brumes nauséeuses des nuages étranglés, qui glissent dans un ciel torturé, morne et sombre.

Les trois pendues de ce matin se balancent à leurs gibets, leurs jupes retroussées par les violentes saccades, qui, obscènes pantomimes, se jouent de leurs vaines pudeurs.

Au loin, dans les vals enlisés des basses terres du Nord, les meutes de loups hurlent à la lune, dans les bocages éclatés, luttant eux aussi contre les froides rafales d’une pluie fine et gelée, qui darde ses crocs de glace.

Jamais quiconque ne se souvient d’une telle tempête, qui souffla les fanaux de la côte comme vulgaires bougies, et brisa les grémands, éclatant les bastingages et terrassant les pontons.

Je me souviens encore, de ces grosses déferlantes, qui montaient à l’assaut des murs escarpés de la grande tour Nord, inondant les vitraux dans un cliquetis sinistre, alors que tu poussais ton premier cri de pucelle, belle Esterelle.

Je vois encore ce linceul tout ourlé de blanc, qu’on jeta sur ta mère, emportée par ton enfantement, dans un râle d’agonie, alors que les éclairs éclairaient la pièce ronde, déformant ton ombre, en te dessinant des cornes.

Et ce drôle de rictus, qui te donnait un air sévère, alors qu’un sourire inondait ton visage de poupon.

Et le bruit des fenêtres qui claquent, se brisent et se cassent, les voiles qui s’emballent, se déchirent et s’échappent, tout en se perdant au dessus de la mer, dans un lambeau de rouge, sur le noir de cette nuit.
Et les flammes qui se tordent, agonisent et se meurent, balayées par le souffle corrompu de la folie de cette tempête, et tes rires qui résonnent, dans le cercueil de mes jours.
Etranges auspices qui accueillirent tes premiers instants, fixant à jamais la marque de mes tourments dans ton sourire candide, au goût amer d’une mère qui s’enfuit … au goût amer d’une mer qui détruit !

Mes larmes ont encore ces saveurs salines, comme l’eau qui s’engouffrait cette nuit là, las, dans ma pauvre maisonnée.

Ma chère Esterelle, que dire encore de cette nuit d’orage, dix années plus tard, où tu t’enfuis de notre demeure, suivant les louveteaux que je t’avais offerts, accompagnée de ton blanc gerfaut, courant sous la lune rouge, dans le flanc des coteaux, sous le vol des corbeaux.
Il y a dix ans déjà, que t’est il donc arrivé ?

Dix années que je m’acharne à fouiller les forêts, les bois et les halliers, les fiefs, les champs et les foires, les îles, les barques et les esquifs, pour enfin te retrouver.

Je suis vieux maintenant, et l’heure de ma mort n’est plus bien loin.
Tant de courtisans qui n’en veulent qu’à mes terres, alors que tu pourrais être leur reine, si tu voulais me retrouver, me pardonner, me succéder !
Je me meurs, demain on me tuera sans doute, discrètement, souillant mon chambellan d’un poison inodore qu’il devra me servir.

Je ne sors plus guère maintenant, je ne suis plus vaillant, je ne vais même plus aux menhirs, pour regarder la mer, en pensant à ta mère, amère certitude qui m’aveugle et me blesse.

Les gibets sont vides, mes soldats ne pensent plus qu’à s’enivrer, tout se discute sans moi, je n’ai plus que quelques papiers alambiqués à signer, encore, parfois, quelques hausses de taxes, ou des titres de propriétés, que je dois distribuer à mes chers conseillers ! Mon empire se morcelle, il ne te restera rien, si tu ne viens pas au plus vite reprendre les rênes de notre maisonnée.

Encore un instant, il gigote comme un enfant, comme sa bâtarde qui ne l’a pas reconnu et qui lui a déjà pris sa femme.

Long soupir, la corde se tend, figé, il ne bougera plus. Tiens, drôle de rictus sur le visage, il sourit et pourtant on le croirait sévère.
Mais il ne leur fait plus peur.

On le jettera à la mer, inutile de lui rendre les honneurs et de l’enterrer sous les menhirs, comme ses aînés.

La lune est rouge ce soir, dépêchons nous de rentrer au château.

Les deux loups blancs s’éveillent, ils se dressent, s’étirent et hurlent dans la nuit des bocages.
Esterelle les caresse, debout, face à la mer, elle regarde la lune se lever et éclairer le gibet où se trémousse le corps orgueilleux de son père.

Le vent du large se lève, apportant ses fragrances iodées.
Déjà les nuages menacent en grondant, encerclants la vieille tour Nord.

La roue du temps grince, immuablement, apportant avec elle les changements incertains des mille arpentes.

Esterelle serre les dents pour retenir un cri. Ses amies la regardent, leurs yeux de braise irradient déjà le souffle de la vengeance.
Elle le sait, elle n’a que trop tardée.

Cette nuit la pluie sera rouge, comme les gouttes de leur sang !

La reine entre enfin dans l’arène !

Baldisarini se tait un instant. Mal à l’aise, il scrute la nuit, et écoute le vent. Les hurlements lointains des louves déchaînées l’intriguent et l’angoissent, mais demain il sera roi !

Là bas, le corps du pantin danse, macabre, avec le vent de la nuit.

Hélas, E LA S est là !

Mille bises

Gaëlle

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Le rêve est la raison d'un seul
La réalité est la folie de tous


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