Entretien avec Mathieu Gaborit
Mathieu Gaborit
 
Mathieu Gaborit

  

Souffre-Jour : Quel a été ton cursus professionnel et scolaire ? Comment en es-tu arrivé à écrire ?

Mathieu Gaborit : Ma petite aventure commence à l'âge de 10 ans. A l'époque, je suis un gentil petit gars qui vit avec ses parents et sa soeur dans un grand appartement du 16ème arrondissement. Une vie tranquille, une scolarité qui m'ennuie déjà à mourir. Et puis, un jour, le hasard. Une boite rouge et rectangulaire entrevue sur une table, chez mon meilleur ami.

- C'est quoi ? je demande.
- Un jeu de rôle.
- Un quoi ?
- C'est mon cousin qui joue à ça. On peut lui demander d'essayer si tu veux.
- Ouais, ça me tente.

Les quinze années suivantes, j'ai joué deux à trois fois par semaine au jeu de rôle. Toujours avec le même groupe, au même endroit. Dans une salle de jeu consacrée exclusivement à notre passion. Il y avait cette fenêtre qui ouvrait sur un jardin, une armoire remplie de figurines, une grande table et une poignée de chaises. Une salle du rêve où j'ai forgé mon appétit pour l'imaginaire, où j'ai développé, des heures durant, d'improbables scénarios qui avaient tous la même origine : l'heroic fantasy. J'ai donc commencé à écrire à l'âge de 10 ans, lorsque j'ai ébauché ces premiers scénarios. Je parle d'une écriture de l'imaginaire, d'une écriture partagée, pas d'un roman. Celui-ci est venu plus tard, avec l'adolescence.

Foutu merdier, cette adolescence. Piégé dans un lycée privé, je m'échappais dès que possible. A chaque fois, j'évitais le redoublement de justesse. J'appartenais au jeu de rôle corps et âme. Je me souviens d'une anecdote qui résume parfaitement l'époque. Je suis dans ma chambre et je dessine fébrilement une carte d'un monde que j'ai crée. Mon père entre, se penche sur mon épaule et, avec sa voix infiniment grave, m'interroge :

- Alors, ce devoir de géographie, il avance ?
- Euh. ouais, Pa'. Presque.

Je le vois froncer les sourcils :

- Il s'agit de quelle région ?

Je ne me souviens pas de ce que j'ai pu répondre mais je me rappelle parfaitement qu'il a hoché la tête, dubitatif, puis qu'il est sorti en refermant la porte de ma chambre. Je crois qu'il ne mesurait pas encore ce que l'imaginaire pouvait représenter à mes yeux. Il faut se mettre à sa place. Si, un jour, votre fils ou votre filles vient vous voir et vous annonce que son futur métier est " artisan de l'imaginaire ", vous ébauchez un sourire et vous le privez de dessert.

Bref.

Il y a donc le jeu de rôle. Et puis, un jour, l'envie d'écrire au sens propre. Ce sera le Souffre-Jour. Un véritable règlement de compte freudien.
Imaginez : un père qui meurt à la première ligne, un adolescent torturé, une mère qui a le visage d'une fée noire, des arbres noirs fièrement dressés vers le ciel, un collège en forme de prison où le héros est forcé d'étudier.

Toujours est-il que le roman est là, qu'il existe sur le papier.

La suite est une série des plus beaux hasards que la vie réserve, parfois, à ceux qui ont de la chance. J'en ai eu beaucoup, je crois.

Elle frappe à ma porte une première fois lorsque le cousin de mon meilleur ami qui, des années plus tôt, m'a initié au jeu de rôle, m'annonce qu'il crée une société pour publier des jeux de rôle. " J'ai pensé à toi " m'a-t-il dit. Après avoir ricané bêtement pendant dix minutes, j'ai dit "oui ". Je crois même que je l'ai crié, ce " oui ". Et, Guillaume et moi, avons commencé à rédiger " Ecryme, la Geste des Traverses ".

Je dois vous parler de Guillaume avant de poursuivre. Je l'ai rencontré au lycée. Il est venu jouer dans notre groupe de rôliste. Notre complicité a été totale. Une complicité de l'imaginaire. Nous parlions le même langage, nous avions sans doute vu la même fée et nous avons partagé nos rêves. Je vous confiais, plus haut, que j'avais toujours joué autour de la même table, dans cette salle de jeu. Ce n'est pas tout à fait vrai.

Pendant deux ans, à l'époque où Guillaume et moi étions dans la même fac, nous avons joué une campagne solo. On séchait les cours et on se retrouvait dans une petite cave que ses parents possédaient. Une cave où, pendant des centaines d'heure, il a joué un personnage baptisé " Maspalio ". Ceux qui ont lu " Abyme " savent de quoi je parle. Son personnage était un gnome, un illusionniste et un voleur. Le monde n'était pas encore celui des Crépusculaires mais le personnage est resté.

Ma complicité avec Guillaume s'est renforcée lorsque, tous les deux, nous avons rédigé le livre de base pour Ecryme. Un univers qui nous ressemblait. Une uchronie steampunk qui a eu un succès d'estime et qui nous a permis d'écrire deux suppléments avant que le pire ne nous rattrape.

Guillaume s'est suicidé un mois de juin. Il n'a laissé à personne le droit de le sauver. Ce n'était pas un appel au secours. C'était une décision irrévocable. Il ne voulait pas se louper. Aujourd'hui encore, j'ai du mal à en parler sans éprouver une rage terrible. Je lui en ai voulu de ne pas nous alerter. De nous avoir laisser, de nous avoir priver de son talent qui était immense. Oui, il était doué. Ce n'est pas un hommage post-mortem à la con. C'est la vérité. Il était brillant dans ses études, il avait commencé un roman cyberpunk dont les premières pages m'avaient soufflé, il avait des idées à foison, une belle plume. Et il savait rêver.

Il est mort. Point final, ou presque. Tout ce que j'écris jusqu'ici s'adresse un peu à lui. Je lui dois beaucoup.

Je vous parlais de la chance qui avait frappé à ma porte. Le suicide de Guillaume a été un carrefour. Sa disparition m'a poussé à arrêter le jeu de rôle sous une forme ludique. Notre groupe de l'époque s'est dissout.

Revenons à la vie, dans la mesure du possible. Après un bac B (Economie) et trois ans en fac de droit qui m'auront surtout permis de connaître intimement chaque patron des cafés alentours, j'interromps mes études, je fais mon service militaire. Ecryme vient de paraître.

Casus Belli nous récompense avec un prix. Et je rencontre les gens de Multisim au cours de la remise du prix. Premiers contacts. Le destin me fait à nouveau un clin d'oeil. Je parle d'un roman que j'ai en tête. Quelques mois plus tard, Stéphane Marsan m'appelle et me propose de prendre un café pour me parler d'un projet. J'accepte. Nous avons rendez-vous à l'Odéon. Il me dit qu'il crée une maison d'édition au sein de Multisim, qu'il aimerait en savoir plus sur ce roman dont j'ai parlé.

Alors je parle du Souffre-Jour. Il aime le bouquin. L'aventure commence.

La suite est simple. Les éditions Mnémos connaissent un succès inespéré. Je travaille chez Multisim, j'écris du jeu de rôle, j'écris des romans.

Souffre-Jour : Concernant les jeux vidéos, en quoi consiste exactement ton travail dans cette branche ?

Mathieu Gaborit : A l'heure où je réponds à cette question, je ne suis plus très sûr de vouloir bosser dans ce milieu. Mon expérience en tant que scénariste/level designer dans le jeu vidéo n'est pas très heureuse. Enfin, d'un point de vue créatif, j'entends. J'ai pu me faire du fric et gagner mon indépendance mais j'ai vu trop d'argent et trop d'idées gâchées dans ce milieu. Pas très envie de m'étendre sur le sujet. Tout ce que je peux dire, c'est que l'expérience acquise dans le jeu de rôle permet de survoler la conception d'un jeu vidéo. C'est facile de créer des univers mais c'est moins facile de créer un bon gameplay. C'est même un métier à part entière dans lequel je ne suis pas certain de trouver un véritable plaisir.


 
Souffre-Jour : Y-a-t-il d'autre cordes à ton arc que tu nous cacherais ?

Mathieu Gaborit : J'ai bossé un an sur un scénario de cinéma. Un projet initié par un ancien journaliste de Première qui a monté sa boite de production. Une expérience intéressante qui m'a montré combien je n'étais pas fait pour le cinéma. Je ne suis pas doué pour écrire un scénario. Trop de contraintes.

Reste la BD. J'y viendrai peut-être un jour. Question de temps.


 
Souffre-Jour : Qui sont tes écrivains préférés ? Quels sont ceux qui t'ont influencé ?

Mathieu Gaborit : Julien Gracq. Sa plume, sa mélancolie. Le lire pour se rappeler ce qui sépare un auteur d'un écrivain. Howard, pour Conan. L'expression ultime de l'heroic fantasy. La base, le socle fondateur. Toujours songer à la simplicité de ses récits, leur dépouillement. L'ultime balance de l'heroic fantasy, c'est peut être cela : un croisement entre Tolkien et Howard.Mervin Peake. Pour son heroic fantasy décalée, presque romantique.

Brussolo. Pour son imaginaire. Personne ne lui arrive à la cheville.

Connolly. Ses polars sont des chefs d'ouvre de construction. J'admire l'horlogerie de ses histoires, la manière dont il distille l'information.



Souffre-Jour : Je vais t'épargner le questionnaire de Proust, mais... si tu devais être un personnage de roman, ce serait lequel ?

Mathieu Gaborit : Marid Audran, sous la plume de G.A Effinger. Le profil d'un anti-héros mystique. Un personnage tout simplement génial.


 
Souffre-Jour : Et si tu étais l'un de tes personnages ?

Mathieu Gaborit : Ouch. Pas simple. Spontanément, j'ai envie de dire Amertine. Un ange-gardien qui reste dans l'ombre, un personnage bienveillant.

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