Songe Ophidien
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Songe Ophidien
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Dame Adelmio retenait son souffle. Yzoun le Keshite se dressait devant elle, un bras posé sur l'épaule de sa fille. Ils se trouvaient tous les trois dans la cave éclairée par une lanterne qu'elle tenait à la main.

Je vous en conjure, madame, répéta le lutin. Venez avec moi. Vous et votre fille. À Keshe, vous serez en sécurité.

Mais.... protesta faiblement la méduse, non, c'est impossible. Abandonner cette maison ? Fuir... fuir dans la nuit comme des voleurs. Jamais !

Vous n'avez pas le choix. Si les Anciennes emmènent Eyhide dans une tour noire, elles découvriront qu'un Danseur est responsable. Et vous serez accusée, peut être même jugée de complicité.

Partagée entre la colère et l'amour qu'elle portait à sa fille, dame Adelmio s'écria:

- Vous l'avez condamnée ! Vous lui avez présenté un Danseur en sachant quelle influence il exercerait sur elle, en sachant que les Anciennes finiraient par venir jusqu'ici.

C'est exact, avoua Yzoun. Mais auriez vous préféré que votre fille grandisse et qu'un jour, vous ayant peut être succédé, elle ait été mise en présence d'un Danseur ? Dans ce cas, les conséquences auraient été bien pires qu'aujourd'hui, je vous l'assure. Eyhide est née avec une résonance, un don particulier pour la magie des Danseurs. Une empathie, dame Adelmio, une harmonie en devenir que ni vous ni personne ne pourrait briser. Ne gâchez pas son existence, je vous en prie. Si nous agissons maintenant, elle deviendra à coup sûr une chorégraphe et sa vie prendra un sens. Si elle quitte cette maison pour une tour noire, elle sera manipulée, transformée et mutilée par les Anciennes. Elle risque même d'en mourir... Non, je ne dis pas cela pour vous convaincre, je sais que c'est déjà arrivé, qu'elles mettront tout en oeuvre pour empêcher qu'une méduse soit privée de ses serpents.

Le doute s'insinuait dans l'esprit de dame Adelmio. Le lutin n'avait pas besoin de lui expliquer ce qu'il adviendrait de sa fille si les Anciennes découvraient l'influence du Danseur. Des images brèves et glacées criblaient sa conscience : Eyhide torturée, soumise aux drogues des Abysses et suppliciée selon le bon plaisir de vieillardes à moitié séniles. Elle connaissait la réputation des tours noires, leurs geôles et les vapeurs venimeuses invoquées depuis les temps anciens. Livrer sa fille à ces tortures ? Comment pouvait elle, comment osait elle réfléchir plus longtemps ?

Mais il y avait une histoire derrière elle, celle de sa famille, de sa mère et avant elle, de toutes les mères de la maison Adelmio qui s'étaient évertuées à éduquer leurs filles afin que les Terres Veuves demeurent le pays des méduses. Aurait elle la force de nier ce patrimoine, l'importance de ses responsabilités en tant que maîtresse du domaine ? Si elle partait, ses rivales se partageraient la propriété ainsi que les terres avec l'avidité des vautours.

Personne ne pouvait la remplacer aujourd'hui, résister aux pressions et flatter les esprits pour que la maison Adelmio conserve son pouvoir et ses terres. Abandonner tout cela... Elle soutenait le regard du lutin et ne parvenait pas à y déceler le mensonge ou la duplicité. Elle avait joué de malchance, elle avait donné naissance à une petite fille qu'elle aimait plus que tout et qui, au détriment des serpents, préférait la compagnie des Danseurs.

Les épaules de dame Adelmio s'affaissèrent. Elle était amère de devoir sacrifier le domaine à sa fille. Elle fit un pas en avant et serra Eyhide contre sa poitrine. L'enfant joignit ses bras autour de la taille de sa mère, le menton levé:

Alors, on va aller dans le désert, maman ?

Oui, ma chérie. Et...

Le sifflement des serpents couvrit ses paroles. En l'absence d'un chaperon qui les contienne, ils s'étaient dressés, furieux, la langue dardée en direction de l'escalier. Yzoun reflua dans l'ombre lorsque les silhouettes des trois Anciennes surgirent dans la lumière de la lanterne. La gorge nouée, dame Adelmio attira un peu plus sa fille contre elle.

Les vieillardes marchaient dans leur direction, le visage impénétrable. Dame Adelmio frémit à la vue de leurs serpents. Au cours de sa vie, elle avait appris à déchiffrer les attitudes des reptiles et celle ci était sans équivoque. Elle appelait le meurtre, la mort à tout prix.

Dame Sienezza se détacha, un rictus sur les lèvres :

La désobéissance, grinça t elle. Une plaie, une véritable peste dans ce royaume.

Le timbre de sa voix impressionnait Eyhide dont les mains s'étaient superposées à celles de sa mère.

Je suis déçue, dame Adelmio, poursuivit la vieille méduse. Déçue de voir que vous puissiez ainsi nier les valeurs et les traditions de ce pays.

Interdisent elles de se rendre dans sa propre cave avec sa fille ? répliqua t elle.

- Il suffit ! s'exclama l'Ancienne.

Les serpents se firent l'écho de sa colère. Vibrants et sifflants, ils se tendirent tous en direction de la mère et de son enfant.

Il suffit, répéta l'Ancienne d'une voix affligée. Je ne supporte pas le gâchis. Nous sommes trop peu nombreuses pour accepter qu'une méduse, si jeune soit elle, soit sacrifiée aux intérêts de la magie. La survie de notre espèce est en jeu.

Dissimulé dans une flaque d'ombre, Yzoun essayait de comprendre comment elles avaient pu se douter qu'un Danseur était à l'origine du mal qui frappait Eyhide. La réponse jaillit dans la bouche de dame Gocci demeurée en retrait:

Croyez vous que les serpents de votre fille aient pu me mentir ? Votre enfant est trop jeune pour percevoir leurs murmures. Moi, je les ai entendus et j'ai bien cru être dupée. En réalité, le petit Gouve n'est nullement responsable de ce drame. Non, ce n'est pas de cet amour qu'il s'agit. Avec mes serpents, j'ai déchiffré les plaintes de ceux qui meurent sur le crâne de votre fille. Ils meurent de chagrin, fit elle en pointant un index accusateur sur Eyhide. Toi, ma petite, tu es une menteuse, une garce qu'il nous revient de corriger.

Le souffle court, elle porta la main à son coeur, grimaça et reprit

Vous êtes une mère indigne, dame Adelmio. Cette maison et tous ceux qui y vivent vont être dispersés dans les domaines voisins. Dès cet instant, vous êtes déchue de vos droits. Vous allez rejoindre la guilde des Courtisanes de l'Onyx et finir votre vie dans les harems démoniaques. Oui, grinça l'Ancienne avec un sourire cynique, vous allez connaître l'étreinte des démons, vous allez servir leurs appétits. Quand à votre fille, elle doit mourir. Sa résonance est coupable, indigne des méduses. Elle représente un danger pour ce pays, elle est le ver qui ronge le fruit, un chancre que nos serpents vont faire disparaître.

Yzoun comprit que l'affrontement était inévitable. Les Anciennes s'apprêtaient à mettre leur sentence à exécution. Il porta le Danseur jusqu'à ses cheveux et, se servant de son front comme d'un promontoire, la créature s'élança dans le vide, les bras en croix. La magie naissait de cette impulsion et du mouvement de la créature dans l'espace. Le plongeon produisit un enchantement, un sortilège exprimé en nuée d'étincelles qui convergèrent vers les Anciennes avec des miaulements stridents. Dame Gocci ainsi que ses deux compagnes ne s'attendaient pas à trouver un lutin dans cette cave, et encore moins un mage capable de générer une magie si puissante. L'effet de surprise fut tel que les étincelles les frappèrent de plein fouet sans qu'aucune n'ait esquissé un geste de défense. Yzoun pouvait gagner du temps mais n'avait pas la force ni même le pouvoir de tuer les trois Anciennes. La magie traça instantanément sur leurs corps un maillage serré de métal. Chaque étincelle figurait une araignée invisible qui tissait sa toile de fer. Avant même que les méduses n'aient songé à s'en débarrasser, cette armure les couvrit de la tête aux pieds et s'ancra dans le sol avec un bruit sourd.

- Courez! s'écria le lutin en jaillissant de l'ombre. Nous n'avons pas beaucoup de temps !

La mère et l'enfant s'ébranlèrent mécaniquement et emboîtèrent le pas au Keshite. Entravées par le piège de fer, les Anciennes rugirent. Le visage décomposé par la rage, dame Gocci fit le sacrifice des jours à venir. Son esprit requit l'aide des serpents qui injectèrent dans ses veines une drogue capable de lui prêter la force d'un ogre. Elle subirait à coup sûr le contrecoup d'un tel effort, elle serait forcée de demeurer plusieurs semaines dans la plus parfaite immobilité, elle perdrait l'usage de la parole et serait aveugle pendant la nuit, mais sa fureur lui ôtait toute prudence.

Ses mains squelettiques écartèrent les barreaux magiques comme de vulgaires brindilles. Eyhide et sa mère se trouvaient au pied de l'escalier quand l'Ancienne s'arracha à la prison du lutin et s'élança à leur poursuite. Dame Adelmio poussa sa fille et pivota pour faire face à l'Ancienne qui se précipitait vers elle à grandes foulées, les mains tendues en avant comme les serres d'un rapace. Cinq coudées les séparaient encore lorsque la vieille méduse s'arracha du sol, les yeux crépitants d'une joie sauvage. Yzoun sollicita à nouveau le Danseur. Il était accroupi dans l'escalier, séparé de dame Adelmio par une volée de marches. La créature se dressait sur son pouce, les bras en cloche. La mâchoire serrée, le lutin fournit l'impulsion du petit doigt et, tel une toupie, le Danseur se mit à tournoyer lentement, puis de plus en plus vite. La magie se révéla alors que dame Gocci achevait sa trajectoire sous le regard pétrifié de dame Adelmio. Les étincelles crépitèrent le long du Danseur, coulèrent sur le poignet de son maître et tombèrent sur les marches en cascades d'azur. L'escalier s'ébroua comme l'échine d'un gigantesque monstre et d'un seul mouvement, entraîna dame Adelmio et le lutin vers le palier supérieur. Dame Gocci retomba lourdement sur le sol avec un cri inarticulé. Eyhide tomba dans les bras de sa mère alors que l'escalier se repliait sur lui-même et scellait le passage qui menait à la cave.

- Personne n'est blessé ? demanda le lutin.

Dame Adelmio le remercia d'un sourire.

- Alors, partons ! ordonna Yzoun.

Dame Adelmio n'avait pas imaginé fuir de la sorte, sans bagage ni escorte. Ils franchirent le perron de la maison, traversèrent la cour de graviers et s'engagèrent sur le sentier sans s'être retournés une seule fois.



 
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