Extraits des mémoires d'Alsaï
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Extraits des mémoires d'Alsaï
La tribu
 
 
 
 
 
 
 
 
Extrait des Mémoires d'Alsaï, précepteur à la Tierce Cour de Chimérie pour monseigneur le dauphin.

1ère partie

Les Chroniques des Félas - Le Roi des Cendres


J'avais quelque scrupule à ne consacrer qu'une seule journée au dauphin pour lui présenter les Provinces-Licornes. Sur la foi d'un accord passé avec son père, je me devais d'enseigner à son fils une histoire objective et désintéressée, de sorte que la sincérité propre aux voyageurs ne puisse l'influencer. Nous avions abordé, la veille, la complexité des Mémoires Draguéennes et l'appétit du dauphin s'était éveillé. L'exotisme a prise sur l'esprit étroit de ce garçon et, à défaut de lui faire comprendre les choses, je puis lui enseigner la manière dont elles existent. Chaque jour, j'entretiens sa curiosité, et par là même, mon désir de voir au delà des murs gris de ce château où un décret m'a confiné pour veiller sur l'épanouissement de l'enfant.

A vrai dire, sous couvert d'un enseignement rigoureux, je me garde de céder à la mélancolie. Sans doute ne serai-je jamais autorisé à quitter le château, peut-être même serai-je empoisonné par le père de sorte que nul ennemi ne puisse, à travers moi, atteindre le fils. Lorsque, parfois, mes récits éclairent le regard de ce garçon d'une étincelle farouche, j'ai le sentiment que les murailles de ce château n'existent plus et, en pareil moment, je sais que ma liberté se joue dans son cœur.

Pour l'heure, à l'éclat vacillant d'une chandelle frontale, je ravive ces étincelles en couchant sur le papier une transcription aussi fidèle que possible de cette journée. Elle commença à l'aube, dans ce large réfectoire où l'enfant est tenu de partager un repas en compagnie de la troupe. J'ai bataillé ferme pour que le régent accepte que son fils soit mêlé à ces gaillards dont il partage les usages le temps d'un bol de soupe et d'un morceau de pain blanc. Plus tard, il comprendra mieux la valeur de ce même pain blanc.

Je forçai donc ma voix pour couvrir le brouhaha et annonçai à mon disciple mes intentions, à savoir une présentation exhaustive des Provinces-Licornes. Je mesurai à cette occasion l'étendue de son ignorance et préférai abréger le repas pour rejoindre la bibliothèque et son silence. Nous nous y installâmes où je l'entretins du royaume des Larmes.
Les origines des Provinces-Licornes

On ne peut évoquer ce pays sans se pencher sur les circonstances de sa naissance. Bien que le temps ait altéré nos connaissances à son sujet, il est établi que les Provinces sont nées sur le théâtre de la désillusion et du chagrin. C'est là un point crucial pour tenter de comprendre les Licornéens. De fait, comme tous les autres royaumes, les Provinces se sont construites à la faveur d'une bataille du temps des Origines. Celle-ci, baptisée la Larme d'El-Zadin, a donné son nom à la capitale du pays. Elle a vu la victoire décisive d'une poignée de Licornes qui, pour des raisons que nul n'a été en mesure d'expliquer, entamèrent un siècle de lamentations pour pleurer leurs compagnes disparues. Lors d'un voyage jusqu'au Royaume Draguéen, j'ai pu consulter plusieurs ouvrages sur les Origines et tous s'accordent pour dire que la Licorne est le seul Féal susceptible de pleurer.

Toujours est-il que le pays se constitua ainsi et que les larmes asséchèrent la terre jusqu'à ce que le désert l'emporte. Il me fut très difficile d'expliquer le phénomène au dauphin qui associait, comme beaucoup d'autres, les larmes d'un Féal à l'eau et ses représentations. Il m'a fallu déployer des trésors d'ingéniosité pour lui faire admettre qu'au delà d'une larme, il y a ce chagrin qui la motive. Ce fut, en l'espèce, la disparition et bien souvent une mort violente et cruelle de ces Licornes des Origines qui livrèrent un combat titanesque à l'aube du M'Onde.

Le désert licornéen est une mer de larmes invisibles et ce paradoxe a façonné le pays. Au fil des années, les tribus se sont transmis un savoir, une connaissance intime du désert et de ses origines consignée dans de nombreux textes sacrés, notamment les Basses Sourates d'Ekahin. Ce pouvoir s'exerce dans tous les chapitres de la vie et en particulier dans la voie des Larmes.

Il s'agit d'un travail alchimique, une discipline que chaque Licornéen pratique dès la petite enfance et qui consiste à opérer la transformation du sable en eau. La pratique est connue bien qu'elle soit, pour les raisons que j'expliquais ci-dessus, circonscrite aux déserts licornéens. Il faut bien comprendre que l'eau, malgré les siècles passés, n'est autre qu'une larme et par la même, se trouve dotée de certaines propriétés. Les citer, ou plus simplement les connaître, ne relève pas de la connaissance mais de la vie elle-même, de la manière dont un Licornéen pratique cette alchimie quotidienne pour étancher sa soif.

Une seule fois, j'ai pu assister à ce spectacle et j'en garde un souvenir étrange, à la limite de l'expérience onirique. Comme si, par l'exercice de ce pouvoir, les Licornéens étaient en mesure d'extraire du sable le souvenir des Origines. Je n'ai pas cru utile d'éclairer le dauphin sur la spécificité religieuse de ce pouvoir, ni même de lui expliquer comment les Licornéens parviennent à raffiner la tristesse du sable pour ne pas lui succomber et ce, en vertu d'une discipline mentale que le prêtre enseigne à chaque membre de la tribu.
 
 


 
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