Projet Lys Noir
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Projet Lys Noir
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Chapitre 2

Anselme porta un coup sec et exercé avec sa hache. Bien qu'émoussé, le tranchant acheva son oeuvre et l'arbre bascula lentement vers le sol.

- Et bien, qu'en penses-tu ? s'exclama joyeusement le garçon lorsque l'arbre fût à terre.

Son compagnon, une hermine dont l'hiver avait blanchi la fourrure, émit un petit couinement admiratif et vint se frotter contre ses chevilles. Anselme planta sa hache et happa l'animal d'un geste tendre pour l'amener contre sa poitrine. En retour, Fouinelle lui lécha affectueusement le visage.

- Eh bien, laisse-moi respirer ! fit-il en la reposant doucement sur le sol.

Il se retourna pour constater son ouvrage et fut heureux de voir que l'arbre, conformément à ses prévisions, n'avaient pas abîmé les branches de ses voisins. Pour l'heure, un travail plus fastidieux le guettait : il fallait élaguer, consacrer l'après-midi à rassembler les branches pour la quinte à venir. Aigrefeuille lui avait recommandé de bien les choisir car la tempête menaçait et risquait une nouvelle fois de couper la route menant au village.

Anselme reprit la hache et fit jouer les muscles de ses bras. Dix longues années avaient forgé ce corps aux rigueurs de l'hiver et aux multiples dangers de la forêt. A dix-sept ans, il frisait les six pieds et compensait sa carrure par une musculature puissante et déliée. Sa foulée lui permettait de franchir en moins d'une tierce près de deux lieues sans être essoufflé et il maniait à une main des armes pesant aisément leurs dix livres. Son visage

Il souleva sa lourde hache de bûcheron et commença son travail sous le regard perçant de Fouinelle. Elle se tenait à l'extrémité du tronc, lovées dans l'entrelacs des racines fraîchement déterrées.

Anselme travailla durant deux tierces, taillant et arrachant les branches pour constituer des fagots réguliers. En de telles occasions, son esprit s'évadait et il songeait à son enfance, à sa vie bouleversée un soir de Blanche-Saison 1373. Il remerciait le ciel d'avoir mis sur sa route le vieil Aigrefeuille, cet ermite devenu son mentor. Jamais il n'oublierait cette nuit sinistre où il avait fui la forteresse familiale, courant aveuglement dans les profondeurs de la forêt, indifférent aux branches qui giflaient son visage. Il avait survécu par miracle, protégé par une famille de paysans restés fidèle au comte de Castelnaut. Malheureusement, on le recherchait, et avec une telle insistance qu'il avait du fuir encore, se cacher dans les bois en se nourrissant de fruits et de baies. Son errance avait duré des quintes avant qu'il n'échoue dans cette chaumière rudimentaire. Ereinté et affamé, il avait été surpris par Aigrefeuille en train de voler une poule et l'homme, au lieu de le poursuivre, lui avaient spontanément offert le gîte et le couvert. Ce repas qu'il avait dévoré sous l'œil bienveillant de l'ermite allait sceller une amitié qui durait depuis une décennie...

Il siffla Fouinelle qui agita sa queue à pointe noire et traversa le tronc en quelques bonds. Elle vint se loger sur son épaule et enfouit son museau tiède et humide dans ses cheveux.

- Eh bien, pourquoi te caches-tu, ma belle ? fit-il en empoignant une branche à pleines mains. Tu sens la tempête venir ?

L'animal poussa des petits cris plaintifs.

- Tu t'allongeras près du feu, ne t'inquiète pas...

Le feu... Anselme avait appris sa valeur lorsque les bourrasques fouettaient rageusement contre les volets de la chaumière, lorsque le givre s'insinuait partout comme de la gangrène.

Le feu lui rappelait surtout les longues veillées près de l'âtre en compagnie d'Aigrefeuille. Le vieillard écoutait beaucoup, s'efforçant d'alléger la peine qui pesait sur le coeur de son protégé. Car Anselme se débattait souvent au cours de son sommeil, en proie à des cauchemars récurrents. L'un d'eux, le plus obsédant, mettait en scène le traître, ce conseiller qui s'était habilement mêlé à l'entourage de son père. Il revoyait distinctement son faciès ricanant, sa cape rouge glissant sur le visage de Serbine comme un linceul.

Aigrefeuille apaisait du mieux qu'il pouvait la rage qui bouillonnait dans le sang du jeune comte, ce sentiment de vengeance qui faisait parfois luire ses yeux d'une lueur malsaine. Le vieil homme lui apprenait les vertus de la patience, l'obligeant par exemple à observer des tierces durant le trajet humide et sinueux d'un escargot. Il fallait rester immobile et s'imaginer à la place de cette petite conscience pesant sous sa coque. Un travail éprouvant comparé à la chasse ou à son travail de bûcheron. Mais Anselme avait confiance en l'ermite. Il avait appris à discerner l'invisible, à réagir au moindre mouvement de feuille, au moindre souffle de vent. Il éduquait son intuition, un sixième sens qui lui donnait l'avantage lorsqu'il traquait les bêtes sauvages. Il apprenait également à aimer et à respecter la nature en tout. L'animal était un allié, la forêt une dame qu'il fallait séduire pour garder sa confiance.

Aigrefeuille lui avait enseigné la manière de survivre en se nourrissant de racines ou d'insectes, la manière de constituer des baumes à l'aide des feuilles et des brindilles. Anselme avait non seulement endurci son corps et son âme mais il avait également renoncé à retourner au château pour défier le vicomte elfe qui trônait à Castelnaut. Longtemps, cette idée l'avait poursuivi mais le temps et la sagesse d'Aigrefeuille avaient eu raison de son émotion. A présent, il avait gagné une quiétude propice à son éducation.

Seul l'avenir demeurait incertain, la manière dont il s'y prendrait pour revendiquer le domaine de son père. Son imagination composait des scènes épiques : il montait un cheval noir et conduisait, contre les remparts de la forteresse, les chevaliers restés fidèles à sa famille.

Ayant aligné six fagots réguliers, il s'assit sur le tronc et joua quelques instants avec Fouinelle qui mordillait joyeusement dans une brindille.

L'harmonie qui le liait à la forêt lui paraissait soudain bien fragile comparée à son devoir. Il ne pouvait nier son enfance, le souvenir de ses parents. Et sa mère... Il en doutait même si cet espoir lui donnait des forces pour endurer les exercices imposés par Aigrefeuille. Fouinelle, sentant son maître distrait, ignora la brindille et escalada l'un des fagots pour y bouder. Anselme poussa un soupir, se leva et prépara son retour jusqu'à la chaumière. Il fixa la hache dans son dos et rafla un arc, son arme de prédilection, posé contre le tronc d'un bouleau. Il l'avait fabriqué lui-même, le taillant d'une seule pièce dans du bois d'if. Bandé par une corne de lin achetée à un colporteur, l'arc valait pour ses flèches, soigneusement conçues : une hampe en frêne, une pointe en fer et l'empenne en plume d'oie. Anselme aimait la concentration de l'archer, sa précision lorsqu'il fallait anticiper les caprices du vent et apprécier sa force. Il affinait sans cesse la tension de la corde ainsi que ses muscles sollicités par la traction.

Il fit passer l'arc au-dessus de sa tête et noua la corde de cuir du carquois à sa ceinture. Puis il chargea les quatre fagots sur le traîneau rudimentaire qui lui servait à la transporter jusqu'à la chaumière. Durant tout ce temps, Fouinelle l'observa, ses petits yeux rétrécis et le museau posé entre ses pattes de devant. Lorsqu'il se mit en marche, la corde du traîneau ceinturant sa taille, elle consentit enfin à le suivre et trottina fièrement à ses côtés.

Aigrefeuille l'avait construite la chaumière de ses mains, au milieu d'une étroite clairière dominée par un chêne vénérable dont les frondaisons effleuraient le toit de chaume. De l'extérieur, on ne voyait qu'une bâtisse sommaire en rondins, percée par une fenêtre aux quatre points cardinaux. Une fois à l'intérieur, on découvrait des bouquets séchés, des bocaux contenant de petits insectes et des plantes étranges disposées dans de petites boîtes en bois blanc. La chaumière comptait une pièce principale où l'on mangeait, dormait et l'on profitait du feu, une autre, plus petite, dévolue aux recherches de l'ermite et enfin une réserve où l'on mettait le bois et la viande séchée.

Anselme pénétra à l'intérieur en ayant, au préalable, rangé les fagots dans la réserve. Aigrefeuille siégeait derrière son établi, dans la pièce du fond. En dix ans, il n'avait guère changé : une silhouette rachitique, flottant dans une robe de bure raccommodée avec pour visage, une figure pâle aux yeux d'un bleu eau marine. Il avait le front haut, les joues creuses et un menton en retrait où pointaient quelques longs poils blancs et drus. Quant à sa chevelure neigeuse, il la dissimulait nuit et jour sous un épais bonnet de laine fauve, humble don d'une voyageuse à qui il avait offert l'hospitalité.

Il leva les yeux et fit un signe amical à Anselme.

- Approche, approche ! lanca-t-il de sa voie éraillée.

Anselme se porta à son niveau et découvrit sur l'établi un oiseau battant faiblement des ailes.

- Une buse, fit remarque Aigrefeuille en achevant de fixer une attelle à l'aile gauche de l'oiseau. Elle a du être surprise par un renard. Regarde, on distingue une morsure, fit-il en écartant quelques plumes à hauteur du cou. Le renard l'a prise dans sa gueule mais elle vivait encore. J'ignore comment elle s'est échappée...

- Elle vivra ?

- Oui, je pense. On la gardera une quinte, le temps qu'elle retrouve l'usage de son aile.

Le vieil homme releva les yeux et les posa sur Anselme.

- Tu as ramené le bois ?

- Oui.

A ce moment-là, Fouinelle bondit sur l'établi et renifla prudemment l'oiseau en grognant.

- Elle est nerveuse depuis ce matin, dit Anselme. Elle doit sentir la tempête qui approche.

L'ermite hocha la tête d'un air grave.

- J'ai bien peur qu'elle soit pire que la précédente. Je me fais du souci pour le chêne. La neige s'entasse et il peine, il se fragilise. Il faudra l'alléger. J'ai sorti l'échelle.

- Tu aurais du m'attendre ! protesta Anselme. Ton dos va encore souffrir.

- Pas autant que ce pauvre chêne... Au fait, j'y pense : il faudrait que tu mettes les chevaux à l'abri dès ce soir. Reviens pour le crépuscule, j'aurais fait bouillir la soupe.

Anselme accepta de bon coeur. Il aimait les trois chevaux skaëndiens qui vivaient en liberté dans la forêt. Il avait lui-même veillé à l'éducation du plus jeune, baptisé Foehn. C'était un cheval au tempérament ombrageux mais d'une vitesse et d'une résistance peu communes.

Sans plus attendre, le jeune homme se mit en marche, ayant pris soin d'emporter avec lui le cor d'ébène qui servait à rallier les chevaux. Fouinelle lui emboîtait le pas, deux coudées en arrière. Il marcha d'un pas allègre vers le sud, en direction d'une grotte où Foehn et ses compagnons venaient mâcher le foin mis à leur disposition. Arrivé à proximité, il sonna du cor, la poitrine gonflée, et entendit quelques instants plus-tard le galop lourd des nobles coursiers skaëndiens. Ils apparurent dans la clarté faiblissante de la Chimère, la robe perlant de sueur et les naseaux fumants. Foehn, qui menait la petite troupe, se porta seul au niveau d'Anselme et se laissa caresser l'encolure en frappant gaillardement du sabot le sol glacé.

- Tu as encore poussé vers le sud, Foehn... Un jour, tu finiras par faire de mauvaises rencontres.

Le cheval poussa un hennissement contrarié, sentant le reproche dans la voix de son maître. Ce dernier déposa un baiser léger sur les lèvres de l'animal et se hissa prestement sur son dos frémissant. Anselme montait à cru. L'usage de la selle lui était étranger.

Mais soudain, alors qu'il faisait pivoter Foehn, il se figea et tendit son visage vers le Nord. Un son particulier avait franchi le rideau végétal. Anselme connaissait les bruits de la forêt et celui-ci n'en était pas un. Il fronça les sourcils et vit Fouinelle, dressé sur ses pattes arrières, qui regardait, elle aussi vers le Nord. Foehn piaffa et se cabra légèrement.

- Du calme, murmura son cavalier, du calme.

La nature retenait son souffle. Le bruit roulait maintenant jusqu'à eux, régulier et sonore : des cavaliers, en nombre...

Le coeur d'Anselme bondit dans sa poitrine. Intuitivement, ce galop lui inspirait un mauvais pressentiment. Apparemment, les cavaliers venaient du Nord Ouest et se dirigeaient vers la chaumière, vers Aigrefeuille.

Fouinelle émit un petit cri rageur et bondit dans les fourrés où elle disparut aussitôt.

- Fouinelle, attends ! s'écria Anselme.

Mais l'hermine, happée par la végétation, n'écoutait plus. Jamais Anselme ne l'avait vu agir ainsi et ignorer l'injonction de son maître. Il frappa le poitrail de Foehn et le lança au galop, le coeur rongé par l'angoisse.

A moins de cent coudées de la chaumière, il mit pieds à terre. Les cavaliers étaient devant lui, dans la clairière et il entendait distinctement les protestations de l'ermite. Il s'approcha à pas coulants et prit son arc à la main, une flèche encochée. La Chimère étendait déjà son voile crépusculaire sur la forêt, noyant peu à peu le sous-bois dans l'obscurité. Anselme parvint à se placer à la lisière de la clairière, accroupi derrière un large buisson de fougères.

Il compta quinze cavaliers, dont la moitié avaient abandonné leurs montures et entouraient Aigrefeuille qui gesticulait sur le seuil de la porte. Tous les cavaliers portaient le même habit de cuir noir, des hautes bottes et un chapeau brun à larges bords. Plusieurs avaient une épée longue à la main, d'autres des poignards et quatre, restés en selle, tenaient une arbalète. Une silhouette, parmi les quinze, attira rapidement son attention. Elle demeurait en retrait, enveloppée dans une longe cape rouge. Le félon... Les mains d'Anselme se crispèrent sur son arc. Il reconnaissait le visage sec et osseux qu'une barbiche prolongeait au menton, les longs cheveux noirs coulant sur de maigres épaules. Il étouffa un juron et banda lentement la corde de son arme. Seulement, pouvait-il se permettre de tirer ? Une flèche pouvait effacer ses cauchemars, tuer net ce misérable. Mais il y avait Aigrefeuille. Il ne pouvait jurer de la réaction des cavaliers et l'ermite était entre leurs mains. Etouffant sa rage, il abaissa son arc. Au même moment, le félon franchissait le cordon de ses sbires. Il fit face à Aigrefeuille et d'une main, le gifla cruellement :

- Pousse-toi, vieillard, fit-il en écartant le vieil homme qui s'était écroulé sur la neige.

Anselme grimace mais parvint à contrôler son émotion comme le vieillard lui avait appris. Lentement, il entreprit de faire le tour de la clairière pour s'assurer qu'aucun autre cavalier ne serait en mesure de le surprendre. Sa prudence porta ses fruits : dans les fourrés se dissimulait un guerrier, une arbalète pointée vers la bâtisse. Anselme posa son arc et dégaina le couteau retenu à sa cheville par un jeu de cordelettes. A pas de loup, il se plaça derrière le guerrier et s'élança sans bruit. L'homme n'entendit rien et sursauta lorsque la pointe du poignard se posa sur sa nuque.

- Un mouvement et tu es mort, souffla Anselme. Combien êtes-vous autour de la clairière ?

Silence. Anselme fit glisser le poignard sur la joue du guerrier, y traçant un sillon brûlant.

- Parle, ou je te saigne dans l'instant !

- Deux...

- Avec une arbalète, face aux fenêtres ?

- C'est ça... Ecoute, tu as tort de me menacer. Tu n'as aucune chance.

- Tais-toi. Qu'est ce que vous êtes venus chercher ?

L'homme ne répondit pas et Anselme perçut l'infime traction de ses muscles. Le cri d'alerte mourut sur ses lèvres quand le poignard lui trancha la gorge. Anselme retint le corps et le laissa glisser doucement sur le sol.

Dans la chaumière régnait un vacarme épouvantable. Le félon et ses sbires fouillaient les lieux tandis que leurs complices, demeurés à l'extérieur, commençaient à devenir nerveux au fur et à mesure que le crépuscule cédait à la nuit.

Soudain, le félon apparut sur le seuil, les cheveux en désordre et la bouche tordue par un rictus. Anselme frissonna. L'homme toisait Aigrefeuille resté à genoux et finalement saisit son visage ridé à pleines mains.

- Je sais qu'il se cache ici ! Il porte le médaillon, n'est-ce-pas ?

- Il est parti au village de Frenorme, je vous l'ai dit, protesta faiblement l'ermite. Pour vendre des peaux...

- Tu mens, crapule, grinça le félon. Les villageois m'ont assuré que vous ne quittiez jamais cette chaumière.

Aigrefeuille se redressa péniblement et fit tête à son bourreau

- Il est parti. Qui que vous soyez, il est parti, vous arrivez trop tard...

Le félon se tourna vers ses sbires et éclata d'un grand rire sinistre. Puis son visage se ferma. Il attrapa l'ermite par le col de sa robe et le plaqua rudement contre un rondin de la chaumière.

- Je vais revenir, vieux débris. Je vais me rendre au village dès maintenant. S'il n'est pas là-bas, je reviendrais te tuer. De mes propres mains, conclut en lâchant brusquement Aigrefeuille.

Le félon fit alors signe à ses hommes et tous, sauf trois, remontèrent en selle. La nuit, désormais, drapait la forêt et à l'éclat d'une lanterne, ils prirent lentement la direction du village de Frenorme.

Sitôt qu'ils furent partis, deux guerriers émergèrent des fourrés et se dirigèrent vers leurs trois complices qui entouraient Aigrefeuille.

- Je commençais à me geler ! lança l'un d'eux, l'arbalète à l'épaule.

- Le vieux va nous faire un bon feu, lui répondit l'un des guerriers en poussant Aigrefeuille à l'intérieur de la chaumière.

Les trois guerriers s'engouffrèrent dans la bâtisse alors que les deux autres ralentissaient le pas en regardant en direction d'Anselme.

- Hé, Tord-la-mort ! Tu veux rester là-dedans jusqu'à demain matin, plaisanta l'un d'eux.

Anselme répondit du mieux qu'il put en imitant la voix du cadavre qui gisait à ses pieds :

- Humm... Profitez du feu, je vous rejoins bientôt...

Le ton parut ne pas convaincre les deux acolytes qui s'arrêtèrent au milieu de la clairière et firent un pas en direction d'Anselme.

- Qu'est ce que tu fabriques ? s'étonna le plus grand des deux en faisant glisser son arbalète dans les mains.

Anselme ne savait plus quoi faire. A l'idée de donner la mort à nouveau, il fut pris d'un tremblement et resserra son emprise sur son arc.

L'autre guerrier murmura quelques mots à son compagnon en montrant la lisière de la clairière. Anselme comprit qu'il n'avait guère le choix : il fallait tuer ou s'enfuir. Il rebroussa lentement chemin jusqu'à son arc posé trois coudées en arrière. Soulignée par la lumière pâle et argentée des Jumelles, les formes noires des deux guerriers se détachaient clairement dans l'obscurité. Anselme planta une flèche dans le sol, juste devant lui, et encocha la seconde. Les deux hommes, à présent, s'approchaient prudemment. Le plus grand gardait son arbalète pointée droit devant, l'autre avait dégainé son épée. Anselme compta deux battements de cœur et décocha son trait, la respiration coupée. La flèche fusa à travers la clairière et trouva sa cible. Elle perça le pourpoint de cuir, puis la peau et enfin le coeur, avant de jaillir, cruelle et maligne, dans le dos de sa victime. Un gargouillis agita un temps les lèvres du guerrier. Il tomba à genoux, les mains vissées sur la flèche qui le transperçait de part en part. A côté de lui, son complice s'était jeté spontanément à terre lorsque la corde avait vibré dans la noirceur des fourrés. Anselme, guidé par une froide résolution, l'ajusta et tira un second trait, aussi précis que le premier. Dans un craquement sec, la flèche s'enfonça dans le crâne du guerrier à terre. Son visage trahit une immense surprise et retomba dans la neige éclaboussée de sang. Un silence funeste retomba sur la clairière. Dans la chaumière, les trois derniers guerriers n'avaient rien entendu de la scène qui s'était déroulée à quelques pas de la chaumière.

Anselme, pris de vertige, s'appuya contre le tronc d'un arbre, y cherchant un secours improbable. La mort le dégoûtait même s'il avait déjà tué des bêtes sauvages pour les nourrir, lui et Aigrefeuille. Il vomit soudain une bile brûlante, la gorge enflammée, les tempes bourdonnantes. Le regard de sa dernière victime tournoyait dans son esprit, lueur d'incompréhension voilée par la mort...

Il patienta près d'un quart-tierce avant que son coeur cesse enfin de cogner rageusement dans sa poitrine. Puis, maître de lui, il se faufila jusqu'à la chaumière avec, pour seule idée en tête, la vie de son mentor. Il fallait nécessairement qu'il puisse attirer les guerriers à l'extérieur. Seul contre trois hommes d'arme, il ne donnait pas chère de sa peau. Parvenue à la porte, il tendit l'oreille. Le ronronnement du feu grondait dans la cheminée et une voix claironnait :

- Tisonne, vieillard, tisonne. J'ai les pieds comme des pains de glace !

- Il faudrait que j'aille cherche du bois, rétorqua la voix fluette de l'ermite.

- Ben voyons. Et t'en profiterais pour filer sur tes deux pattes. Bien qu'je sois pas certain que t'ailles bien loin avec ce qui te sert de jambes.

Les trois hommes ricanèrent et l'un d'eux, finalement, se leva. Anselme entendit le crissement du tabouret sur le plancher et recula dans l'ombre.

- D'accord, j'y vais, grommella-t-il.

La porte s'ouvrit en grand peu après et un guerrier apparut dans l'encadrement de la porte. Il ne portait plus son chapeau


Mathieu Gaborit


 
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La Gazette du satyre Alraune

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Il était temps ! (haha !)

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