Projet Cyber 1900
Voilà le début d'une nouvelle ou d'un roman qui me tenait à cœur. Stéphane Marsan et Fabrice Colin l'avaient surnommé le "cyber-savate". Il n'est pas dit qu'un jour, je reprenne ce projet. L'idée de mêler le XIXème au cyberpunk me semble très intéressante. A creuser, donc.

Essai 1

21 juin 1900. Au terme d'un printemps caniculaire, la foule de l'été s'apprête à envahir les pavillons de l'Exposition Universelle. Alors que la précédente, en 1889, consacrait le développement colossal de la métallurgie, il est question, aujourd'hui, de l'Electricité, cette "fée qui illumine le monde". Mais elle n'est pas reine de l'Exposition, seulement son ambassadrice. Dans son sillage se dresse le Réseau, souverain incontesté qui déchaîne les passions et rassemblent les foules. On se presse et on s'entasse à la porte Binet - au coin de la Concorde - pour admirer les immenses panneaux cristallisés où s'affichent les nouvelles du monde, les témoignages officiels des grands Empires. A l'ouverture, on a même applaudit cet indigène en costume traditionnel, visiblement un chef de tribu interviewvé sur le seuil d'une case. Il saluait la France, son Empire et sa grandeur... Puis il a disparu, chassé par un nuage de pixels, une oeuvre de Metzinger qui a elle même cédé la place au discours du président Loubet, invitant la foule à franchir les guérites où siègent de jolies jeunes femmes au sourire exercé.

Le ciel est clair, le soleil inonde l'Esplanade des Invalides, coule sur l'immense coupole d'acier du Pavillon du Creusot, ruisselle sur les tours byzantines des Palais russes, éclabousse la Terrasses de l'Aquarium et ses deux grandes serres symétriques de fer et de verre, glisse sur les toitures de chaume du Pavillon de la Guinée.

Bref, le temps est de la partie, couvant affectueusement ce déploiement fantasque et exotique d'une architecture universelle. On oublie facilement les guerres, celles qui déchirent les Balkans ou menacent le Tyrol italien et les îles de la mer Egée. On ignore les grèves générales, les ouvriers qui manifestaient encore la semaine passée. On tait la misère, les oubliés de l'expansion et les victimes de l'industrie. On se réjouit des poursuites engagées contre l'Eglise et ses congrégations, on salue le courage des colons et des fortunes qui se bâtissent à la pointe des bottes et des fusils en Afrique, en Asie et en Amérique du Sud.
Le coeur de Paris, jubilant et aveugle, bat à l'unisson des inaugurations et des défilés qui ont auguré l'Exposition. On veut tout voir, comprendre et surtout découvrir ce Réseau, cette immense arantèle informatique qui se tisse à un rythme effréné. Des innovations font les grands titres des journaux : le camé visiophonique des ateliers Schneider, le "papillon" de l'artisan Edouard Grais, dont la forme, qui rappelle celle de l'insecte, abrite les circuits d'une console miniature. Ces inventions font la joie d'un public, d'une bourgeoisie qui a seule le privilège d'accéder à ces nouvelles technologies.

Place des Vosges, au 14, ce même 21 juin 1900. Si on prend la peine de franchir un vieux porche, de traverser une large cour fleurie et silencieuse, on peut pousser une porte récalcitrante et escalader un escalier en colimaçon aux marches patinées. Il faut néanmoins quelque bonne raison pour les gravir jusqu'au sixième étage, le dernier, où l'on s'attend communément à trouver les chambres de bonne, le palier des domestiques. Ici, pourtant, les étroits logis ont tous été annexés par le même homme. Les murs ont été abattus de manière à ce que les chambres forment un seul appartement. Une plaque en cuivre disposée juste au-dessus de la sonnette annonce ceci : "**, enquêteur indépendant". Le curieux ou le client prend alors la peine de sonner, provoquant l'apparition instantané d'un petit écran logé dans le panneau supérieur de la porte. Un grésillement, l'écran s'anime et livre un visage adorable, en teinte sépia, une figure de porcelaine soulignée par une mèche claire en virgule qui effleure la joue et agaçe le menton. Une voix rauque, étrangement décalée, s'échappe des lèvres fines de l'inconnue : "entrez, je vous en prie". Un claquement sonore, la porte s'ouvre sur une clarté savante et un décor feutré. Une pièce rectangulaire, qui se dévoile pudiquement à la lumière du jour qui filtre à travers les volets fermés. La chaleur est pesante malgré le ventilateur qui ronronne doucement au plafond. L'étranger prend quelques instants pour s'habituer à cette demi-pénombre, pour oser franchir la distance qui le sépare du bureau de la jeune femme. Il s'avance, sort un mouchoir et éponge la sueur qui lui vient au front.

Elle sourit. Sa voix, à nouveau, résonne : cassée, vacillante. On sent que les mots ont du mal à se frayer un chemin à travers la gorge, qu'elle les économise. Mais il est difficile de ne rien remarquer lorsqu'elle s'excuse en étouffant une toux sèche. Puis, d'un geste, elle invite l'étranger à s'asseoir sur le fauteuil en cuir craquelé échoué au milieu de la pièce. L'étranger s'y laisse choir, goûtant à la fraîcheur du cuir. Il jette un oeil vers la jeune femme qui s'est penchée vers un petit écran Browder&fils, reconnaissable entre tous à son encadrement en opaline. Elle y murmure quelques mots de sa voix fragile. Le regard de l'étranger s'attarde sur son cou, long et livide, ses cheveux châtain clair retenus en chignon par une attache en argent et cette robe noire qui la découvre à la moitié des épaules. Sa chair est blanche, d'une pâleur saisissante malgré la lumière qui voudrait la rosir. Elle relève la tête, sourit une fois encore et prévient que ** le recevra dans quelques minutes.

L'étranger détourne les yeux et fixe ses mains. Il étouffe, il essuie ses mains moites et quête le moindre souffle d'air émanant du ventilateur.

L'attente est de courte durée.

L'écran Browder&fils éructe, elle se lève et fait signe à l'étranger de la suivre. Ce dernier sursaute, souvent en pensée. Il a entendu un grincement, une plainte sourde et métallique qui a accompagné le mouvement de la jeune femme. Son regard se porte vers les jambes que la robe masque jusqu'aux genoux. Sous le revers noir, il voit le chrome, les mollets délicats qui scintillent dans la pénombre. Il cherche spontanément la signature de l'artisan et la distingue au creux de l'os de la cheville droite, une écriture ciselée et d'or fin qu'il ne parvient pas à déchiffrer.

** vient de surgir, s'encadrant dans la porte qui donne sur la suite de l'appartement.

L'homme doit avoir la quarantaine, un corps lourd et massif logé dans un complet de lin bistre; A s'attarder sur son visage, sur sa barbe noire et broussailleuse taillée en rectangle, ses favorites et ses traits épais, on le prendrait pour un capitaine de navire, un marin affublé des défroques froissés d'un notable. Mais il y a les yeux…


Mathieu Gaborit
 
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La Gazette du satyre Alraune

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