Début abandonné pour Coeur de Phénix
Voici une toute première ébauche des Féals. Je voulais à l'époque créer un personnage de la nature dont le sang "sylvin" aurait induit le rapport très profond qu'il entretenait avec le feu des Phénix. Une sorte d'attirance/répulsion entre le bois et le feu. Je n'ai pas retenu l'idée de peur que le personnage devienne trop épais, trop baroque.
 
Les Chroniques des Féals - Coeur de Phénix


Prélude


Par une nuit claire de l'automne 732, dans la forêt d'Algarêne, une dryade accouchait sous les frondaisons d'un vieux chêne. L'esprit-sylvestre grimaçait alors que la douleur enflait entre ses cuisses. Entre ses petites mains, elle serrait celle de son compagnon, un seigneur chimérien dont les yeux humides trahissaient l'émoi.

- Ô, ma douce... murmura-t-il en écartant les mèches rousses collées sur le front brûlant de son amante.

Elle poussa un bref gémissement et porta son regard sur la clairière. Malgré la pénombre, elle distinguait les houppiers enflammés par la saison, les feuilles écarlates qui frissonnaient sous la brise. Du nord lui parvint le murmure inquiet du ruisseau. Les fées de l'Onde guettaient cette naissance depuis plusieurs jours et jouaient du clapotis pour le faire savoir. La dryade esquissa un sourire car elle savait que les petites fées mouillées n'oseraient s'approcher tant que le seigneur serait présent.

- Que dois-je faire ? Dis-le moi, souffla-t-il.

Il la dévisageait en maudissait sa propre impuissance. Savoir mener les siens à la guerre ou monter les puissants chevaux des Provinces Licorne ne lui servaient à rien cette nuit-là.

- Tu ne peux plus reculer, fit-il en soulevant sa nuque. Il doit voir le jour...

Elle posa sur lui un regard angoissé. Dans ces deux grands yeux d'ambre, il lut un immense désarroi…

Elle avait trahi le chênaie pour l'homme qu'elle aimait.

Il l'attira contre elle et enfouit la main dans sa longue chevelure au parfum de rosée.

- Ne crains rien, je t'en prie. Je suis tien, je ne quitterai plus.

Il la tint ainsi jusqu'à ce que la lune pâlisse, jusqu'à ce que les chouettes, par dizaine, viennent se poser sur les hautes branches dominant la clairière. Soudain, elle le repoussa, la bouche ouverte sur un cri muet : l'enfant venait au monde. A genoux, le seigneur chimérien riva ses yeux aux petites racines dorées et soyeuses du pubis. Le crâne de l'enfant s'y frayait lentement un passage. Lorsque les épaules furent visibles, sa mère rejeta la tête en arrière, les yeux vitreux.
- Mon amour, je t'en prie... supplia le Chimérien.

L'enfant gisait à présent sur un tapis de mousse ensanglanté. Le seigneur dégaina son poignard et, d'un geste affirmé, trancha la liane fragile qui le liait encore à sa mère. Puis il saisit son visage à deux mains pour la couvrir de baisers.

- C'est un petit homme. Reste... tu dois le voir grandir, dit-il en collant ses lèvres à son oreille.

Elle poussa un cri, le dernier. Et la nature lui fit écho : le tronc du vieux chêne qui la veillait depuis sa plus tendre enfance frémit et ses feuilles tombèrent pour s'unir à la détresse de sa servante. La longue chevelure de l'esprit-sylvestre perdit ses couleurs et se dessécha comme une herbe roussie. Sur son pubis, les racines dorées se racornirent tandis que ses yeux d'ambre se révulsaient, voilés par des flocons de neige.

Elle expira dans les bras du Chimérien sans un mot. Ses petites mains retombèrent sur le sol, son corps tout entier se détendit.

Elle était morte.

Le Chimérien hurla, les deux bras levés vers le ciel. Au-dessus de lui, les branches nues du vieux chêne s'agitèrent et se penchèrent doucement vers la dryade pour la saisir et l'emporter vers les cimes silencieuses du chênaie. Le seigneur ne fit rien pour les en empêcher. Lorsque sa voix se brisa, l'étroite clairière n'abritait plus que lui et l'enfant. Il se releva, le nouveau-né au creux de ses bras. Dans les yeux d'ambre de son fils, il ne voyait que son amante et le cœur étreint par un immense chagrin, il emprunta le sentier menant au château.

CHAPITRE I

1

Au nord de la Mer des Emeraudes s'étendait le duché de Castelnaut, terres parmi les terres de l'immense empire de Grif. La forteresse de Rochefer, symbole de la glorieuse lignée des Castelnaut, dominait une vallée boisée où l'empereur aimait à venir chasser lorsque l'automne s'annonçait. Edifiées par une confrérie de bâtisseurs chimériens, les hautes murailles de la forteresse n'avaient jamais cédé ni même tremblé.

En cette soirée d'hiver, le jeune Januel se faufilait sur le chemin de ronde. Vêtu d'une tunique de laine violine et chaussé de bottines, il gardait une main sur le relief des créneaux car le givre avait rendu la pierre glissante. Il savait que sa mère n'appréciait guère ses échappées, qu'elle préférait le savoir en compagnie de Cardon, son maître d'arme, dans la chambre du donjon. Januel avait échappé à la vigilance du vieil homme, si brave mais parfois si triste qu'il lui préférait les promenades solitaires dans les entrailles de la forteresse.

Pourtant, ce soir-là, Januel recherchait une compagnie très particulière. Ses pas le menaient vers la cour principale où se tenait depuis le crépuscule un banquet exceptionnel. Le duc lui avait formellement interdit d'y paraître. Januel ignorait pourquoi bien que Cardon lui est assuré que le duc voulait ainsi le préserver.

Il en doutait…

De son enfance, il ne gardait que le souvenir de ses errances dans la forêt où le duc l'abandonnait avec une dague à la lame émoussée et douze baies, pas une de plus ou de moins. A seize ans, il se savait capable d'affronter n'importe quel soldat de la garde de Rochefer. En revanche, sa constitution chétive ne lui permettait pas encore de porter une armure pour pouvoir affronter les chevaliers de Castelnaut.

Januel parvint à une tour de guet qu'il lui fallait franchir pour pouvoir surplomber la cour principale. Il s'accroupit auprès de la serrure et d'une broche empruntée le matin-même à sa gouvernante, il la crocheta en un battement de coeur. Aucune autre ne lui résistait dans l'enceinte de Rochefer. Lorsqu'il avait montré d'heureuses dispositions au maniement du luth, le duc avait engagé un saltimbanque pour apprendre à son fils les rudiments de la musique chevaleresque. Matiniel, tel était le nom du saltimbanque, avait demeuré trois ans à Rochefer avant de reprendre la route. Outre ses talents de conteur, il avait un autre, plus discret, qu'il tenait des voleurs de la capitale. A l'insu de son père, Januel avait appris à se passer des lourdes clés qui commandaient l'intimité de la forteresse. Un tel secret pesait parfois bien lourd mais il chérissait autant, sinon plus, l'idée d'aller et venir à sa guise. Une liberté conquise au prix d'un mensonge

Il remercia Matiniel en pensée et pénétra dans la tour. Bien entendu, l'endroit était désert. L'imminence de la bataille valait à elle seule qu'on relâche son attention aux remparts : les vassaux venus prêter main-forte au duc campaient aux pieds de Rochefer. Januel traversa la pièce puis crocheta de la même façon la porte qui ouvrait sur le chemin de ronde qui dominait la cour principale. D'une main prudente, il l'entrouvrit et jeta un œil en contrebas.

La cour avait la forme approximative d'un croissant de lune. D'un bout à l'autre, on avait joint de lourdes tables en chêne pour n'en faire qu'une seule recouverte de nappes en lin. Sur la table, des chandelles faisaient scintiller l'argenterie déployée pour l'occasion. Dans l'air glacé de l'hiver, les plats servis fumaient comme de vieilles cheminées. Des odeurs firent frémir les narines de Januel, en particulier celles des petits pains blancs dont il aimait s'empiffrer dans les cuisines à la pointe du jour.

Les convives devaient être au nombre d'une centaine et s'agitaient d'un bout à l'autre de la table pour se saluer et s'étreindre. Januel distinguait à peine les visages à l'éclat vacillant des chandelles. Il aurait aimé reconnaître des oncles ou de lointains cousins mais chaque homme portait, sur son surplis, un manteau de peau et de fourrure.

Fasciné, il se recroquevilla sur la pierre froide et observa le banquet.
Combien de fois avait-il dû se tenir à l'écart, laisser Cardon l'enfermer dans sa chambre lorsqu'un vassal se présentait avec ses gens à Castelnaut ? Sa mère lui répétait qu'il y aurait un age pour cela, qu'il lui fallait grandir avant de partager les fardeaux du pouvoir. Et pourtant, il venait de fêter seize printemps…
Seize.

Enhardi, il décida de s'approcher encore et de prendre ce risque en dépit des recommandations de son père. Pour cela, il suffisait de descendre l'escalier de la tour de garde. Ensuite, il ne devrait pas être très difficile de se mêler aux serviteurs.

Un étroit escalier de pierre épousant la circonférence de la tour le mena au rez-de-chaussée. D'une meurtrière, il avisa la distance qui le séparait de l'extrémité nord de la table : vingt ou vingt-cinq coudées. Le vacarme et la nuit tombante le masqueraient facilement jusqu'à là. Et ensuite ? Fatalement, même s'il se confondait avec la foule des serviteurs, on finirait par le remarquer. En outre, la présence de sa mère au côté de son époux rendait les choses plus difficiles. Du rez-de-chaussée, Januel distinguait à présent son visage fermé et attentif qui ne perdait pas un détail de ce banquet. Elle portait une robe de soie bleu-nuit dont le col droit montait jusqu'au menton. Elle avait ramené sur sa poitrine une cape en hermine et masquait son épaisse chevelure rousse sous une résine de laine vert-émeraude. Januel la trouvait belle même si ses cheveux l'effrayait un peu. Etant petit, il croyait que des flammes y dansaient. Même aujourd'hui, il frissonnait encore lorsque des mèches venaient frôler son front alors qu'elle se penchait pour l'embrasser.

...


Mathieu Gaborit
 
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La Gazette du satyre Alraune

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